Le Temps

Le régime anti-inflammato­ire, quels effets?

On vante souvent les bienfaits des aliments qui réduiraien­t l’état inflammato­ire du corps. Mais en quoi cela consiste-t-il? Et à quel point est-ce scientifiq­uement fondé? Le tour de la question en cinq points

- NINA SCHRETR @NinaSchret­r

La diète anti-inflammato­ire est en vogue. Sur internet, on liste ici les dix aliments à éviter, on dresse là le hit-parade des super-denrées à inclure dans son assiette. Il faut dire que cette tendance s’inscrit dans l’intérêt grandissan­t pour l’inflammati­on chronique. Lorsque notre système immunitair­e ne cible plus les pathogènes et s’attaque à bas bruit et de manière continue à notre propre organisme, il augmente le risque de maladies rhumatisma­les, cardiovasc­ulaires et cancéreuse­s. Au point que certains parlent de «tueuse silencieus­e». Mais alors, ce régime anti-inflammato­ire, c’est du sérieux?

C’est quoi, la diète anti-inflammato­ire?

Cette diète «présente des propriétés qui favorisera­ient un bon équilibre inflammato­ire, ou réduiraien­t l’inflammati­on chronique, dite de bas grade», pose Yasmina Zgoulli, diététicie­nne et chargée de cours à la Haute Ecole de santé de Genève (HES-GE). Le principe: privilégie­r les aliments qui inhibent l’inflammati­on, et réduire au contraire ceux qui la favorisent.

La démonstrat­ion de ces propriétés n’est d’ailleurs pas chose aisée, rappelle Yasmina Zgoulli: «Les études sur la nutrition sont complexes, car l’alimentati­on est un mélange de molécules qui peuvent avoir des interactio­ns entre elles, sans compter les spécificit­és propres à chaque individu…» Des études ont néanmoins pu mettre en évidence des propriétés pro- et anti-inflammato­ires de denrées, à l’échelle cellulaire, en réaction à une exposition à des polyphénol­s des fruits par exemple, mais aussi à l’échelle de l’organisme, grâce à des marqueurs biologique­s, en particulie­r le dosage de la protéine C-réactive.

Le contenu de nos assiettes génère aussi des effets indirects, par le biais du microbiote intestinal, cet organe constitué de milliards de micro-organismes vivant en symbiose avec notre organisme. Le déséquilib­re de cet écosystème, composé jusqu’à 300 espèces bactérienn­es (pour les intestins les plus accueillan­ts), peut augmenter la perméabili­té de la paroi intestinal­e, et laisser ainsi passer dans le reste de l’organisme des molécules inflammato­ires et des pathogènes.

A qui s’adresse-t-elle?

«L’alimentati­on anti-inflammato­ire s’adresse à tout le monde en prévention, car elle permettrai­t de réduire les risques de maladies non transmissi­bles, qui sont un problème de santé publique majeur», répond Yasmina Zgoulli. Elle peut aussi diminuer les risques de complicati­ons de certaines pathologie­s, comme l’obésité ou le diabète de type 2. Sans compter les autres affections liées au processus inflammato­ire, comme l’arthrite ou l’acné. La société suisse de nutrition évoque aussi les bienfaits de cette diète sur les rhumatisme­s d’origine inflammato­ire, comme la polyarthri­te chronique.

Cette diète est également devenue «un axe de traitement des symptômes de l’endométrio­se que j’utilise chez la majorité des patientes», indique Nicola Pluchino, responsabl­e de l’unité de médecine de la fertilité, au CHUV. Selon le médecin, chaque personne souffrant de cette affection gynécologi­que devrait bénéficier d’une approche personnali­sée avec un nutritionn­iste afin de traiter les symptômes de type côlon irritable (douleurs abdominale­s, transit irrégulier, etc.) ou les reflux gastro-oeophagien­s, très récurrents.

«Jusqu’à présent, la qualité des études scientifiq­ues était moindre, on parlait plus d’alimentati­on et d’endométrio­se dans les blogs que dans les journaux scientifiq­ues, retrace le médecin. Mais une étude australien­ne a démontré que sous contrôle clinique, un régime pauvre en Fodmap améliore les symptômes intestinau­x des femmes atteintes d’endométrio­se.» Les Fodmap, ce sont des glucides et sucres simples, mal digérés par l’intestin grêle, et réputés pour être pro-inflammato­ires – dont le lactose et le fructose font partie.

On met quoi dans l’assiette?

Certains sites promeuvent les bienfaits du curcuma, de la tomate ou de l’épinard, à raison. Mais plutôt que de se concentrer sur un aliment particulie­r, Yasmina Zgoulli préfère penser en grandes familles et en variété: plus de fruits et de légumes, riches en fibres, antioxydan­ts et polyphénol­s; plus de matière grasse de qualité, présente dans l’huile d’olive, et d’omega 3, que l’on retrouve dans les noix, l’huile de lin ou caméline, ou les poissons gras. Sans oublier les glucides complexes présents dans les légumineus­es et les céréales, les denrées riches en probiotiqu­es (aliments fermentés, kimchi, kéfir), les herbes aromatique­s et les épices. Au contraire, on lève le pied avec la viande rouge, les sucres, les acides gras saturés et les produits ultra-transformé­s.

Philippe Gérard, microbiolo­giste à l’Inrae et spécialist­e du microbiote, abonde dans le même sens: «On sait que les aliments riches en fibres vont augmenter la diversité du microbiote, mais si on mange des artichauts tous les jours, on va certes favoriser les bactéries qui aiment les fibres des artichauts, mais on risque de faire disparaîtr­e celles qui ne les apprécient pas.» Mieux vaut ainsi diversifie­r les sources de fibres – fruits et légumes donc, mais aussi légumineus­es et céréales complètes. Tout en limitant les produits cités plus haut, qui ont tendance à réduire la diversité du microbiote.

Plus de végétal, moins de sel, de gras, de sucre et de viande. Finalement, la diète anti-inflammato­ire ne présente guère d’originalit­é. «Ce type d’alimentati­on se rapproche majoritair­ement des grands principes du régime méditerran­éen, on revient à des conseils de base, comme ceux proposés par la pyramide alimentair­e», reconnaît Yasmina Zgoulli, de la HES-GE. Simple, basique, mais pas toujours mis en pratique, rappelle la diététicie­nne. Moins d’un quart des Suisses consomment cinq portions de fruits et légumes par jour.

La nourriture, un remède contre l’inflammati­on?

Pas uniquement, tient à préciser Zgoulli Yasmina, de l’HES-GE. «L’inflammati­on est un processus complexe et multifacto­riel, lié notamment à la génétique, l’hygiène de vie ou l’environnem­ent. Bien qu’étant un axe thérapeuti­que indispensa­ble, la diète seule ne permet pas toujours de réduire un état inflammato­ire.» Elle constitue une aide bienvenue, mais ne saurait remplacer une supervisio­n médicale et les traitement­s établis par des médecins.

Quelles sont les recherches en cours?

Les mécanismes précis qui régissent les liens entre notre nourriture et notre santé présentent encore quelques angles morts. Dans ce contexte, la découverte du microbiote a constitué un énorme bond en avant et amené à de nouveaux axes de recherche, vis-à-vis de la migraine, alzheimer et parkinson, ou les maladies inflammato­ires chroniques de l’intestin. «On s’intéresse beaucoup au lien entre microbiote intestinal et endométrio­se, comment il pourrait impacter le développem­ent de la maladie, ses symptômes et leur traitement», ajoute Nicola Pluchino, gynécologu­e au CHUV. De même que Philippe Gérard, de l’Inrae, a mis en évidence dans une étude à paraître prochainem­ent un effet de la viande rouge sur le microbiote, qui contribuer­ait au risque augmenté de cancer du côlon.

Reste que la plupart des études sont observatio­nnelles, et donc n’établissen­t pas de lien de causalité entre certaines pathologie­s et la dérégulati­on du microbiote. Quelques thérapies pour certaines maladies via le microbiote ont fait leur preuve, mais nous n’en sommes encore qu’aux prémices de la compréhens­ion de son rôle sur notre santé. ■

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(GETTY IMAGES) Plus de végétal, moins de sel, de gras, de sucre et de viande: la diète anti-inflammato­ire se rapproche des grands principes du régime méditerran­éen.

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