Le régime anti-inflammatoire, quels effets?
On vante souvent les bienfaits des aliments qui réduiraient l’état inflammatoire du corps. Mais en quoi cela consiste-t-il? Et à quel point est-ce scientifiquement fondé? Le tour de la question en cinq points
La diète anti-inflammatoire est en vogue. Sur internet, on liste ici les dix aliments à éviter, on dresse là le hit-parade des super-denrées à inclure dans son assiette. Il faut dire que cette tendance s’inscrit dans l’intérêt grandissant pour l’inflammation chronique. Lorsque notre système immunitaire ne cible plus les pathogènes et s’attaque à bas bruit et de manière continue à notre propre organisme, il augmente le risque de maladies rhumatismales, cardiovasculaires et cancéreuses. Au point que certains parlent de «tueuse silencieuse». Mais alors, ce régime anti-inflammatoire, c’est du sérieux?
C’est quoi, la diète anti-inflammatoire?
Cette diète «présente des propriétés qui favoriseraient un bon équilibre inflammatoire, ou réduiraient l’inflammation chronique, dite de bas grade», pose Yasmina Zgoulli, diététicienne et chargée de cours à la Haute Ecole de santé de Genève (HES-GE). Le principe: privilégier les aliments qui inhibent l’inflammation, et réduire au contraire ceux qui la favorisent.
La démonstration de ces propriétés n’est d’ailleurs pas chose aisée, rappelle Yasmina Zgoulli: «Les études sur la nutrition sont complexes, car l’alimentation est un mélange de molécules qui peuvent avoir des interactions entre elles, sans compter les spécificités propres à chaque individu…» Des études ont néanmoins pu mettre en évidence des propriétés pro- et anti-inflammatoires de denrées, à l’échelle cellulaire, en réaction à une exposition à des polyphénols des fruits par exemple, mais aussi à l’échelle de l’organisme, grâce à des marqueurs biologiques, en particulier le dosage de la protéine C-réactive.
Le contenu de nos assiettes génère aussi des effets indirects, par le biais du microbiote intestinal, cet organe constitué de milliards de micro-organismes vivant en symbiose avec notre organisme. Le déséquilibre de cet écosystème, composé jusqu’à 300 espèces bactériennes (pour les intestins les plus accueillants), peut augmenter la perméabilité de la paroi intestinale, et laisser ainsi passer dans le reste de l’organisme des molécules inflammatoires et des pathogènes.
A qui s’adresse-t-elle?
«L’alimentation anti-inflammatoire s’adresse à tout le monde en prévention, car elle permettrait de réduire les risques de maladies non transmissibles, qui sont un problème de santé publique majeur», répond Yasmina Zgoulli. Elle peut aussi diminuer les risques de complications de certaines pathologies, comme l’obésité ou le diabète de type 2. Sans compter les autres affections liées au processus inflammatoire, comme l’arthrite ou l’acné. La société suisse de nutrition évoque aussi les bienfaits de cette diète sur les rhumatismes d’origine inflammatoire, comme la polyarthrite chronique.
Cette diète est également devenue «un axe de traitement des symptômes de l’endométriose que j’utilise chez la majorité des patientes», indique Nicola Pluchino, responsable de l’unité de médecine de la fertilité, au CHUV. Selon le médecin, chaque personne souffrant de cette affection gynécologique devrait bénéficier d’une approche personnalisée avec un nutritionniste afin de traiter les symptômes de type côlon irritable (douleurs abdominales, transit irrégulier, etc.) ou les reflux gastro-oeophagiens, très récurrents.
«Jusqu’à présent, la qualité des études scientifiques était moindre, on parlait plus d’alimentation et d’endométriose dans les blogs que dans les journaux scientifiques, retrace le médecin. Mais une étude australienne a démontré que sous contrôle clinique, un régime pauvre en Fodmap améliore les symptômes intestinaux des femmes atteintes d’endométriose.» Les Fodmap, ce sont des glucides et sucres simples, mal digérés par l’intestin grêle, et réputés pour être pro-inflammatoires – dont le lactose et le fructose font partie.
On met quoi dans l’assiette?
Certains sites promeuvent les bienfaits du curcuma, de la tomate ou de l’épinard, à raison. Mais plutôt que de se concentrer sur un aliment particulier, Yasmina Zgoulli préfère penser en grandes familles et en variété: plus de fruits et de légumes, riches en fibres, antioxydants et polyphénols; plus de matière grasse de qualité, présente dans l’huile d’olive, et d’omega 3, que l’on retrouve dans les noix, l’huile de lin ou caméline, ou les poissons gras. Sans oublier les glucides complexes présents dans les légumineuses et les céréales, les denrées riches en probiotiques (aliments fermentés, kimchi, kéfir), les herbes aromatiques et les épices. Au contraire, on lève le pied avec la viande rouge, les sucres, les acides gras saturés et les produits ultra-transformés.
Philippe Gérard, microbiologiste à l’Inrae et spécialiste du microbiote, abonde dans le même sens: «On sait que les aliments riches en fibres vont augmenter la diversité du microbiote, mais si on mange des artichauts tous les jours, on va certes favoriser les bactéries qui aiment les fibres des artichauts, mais on risque de faire disparaître celles qui ne les apprécient pas.» Mieux vaut ainsi diversifier les sources de fibres – fruits et légumes donc, mais aussi légumineuses et céréales complètes. Tout en limitant les produits cités plus haut, qui ont tendance à réduire la diversité du microbiote.
Plus de végétal, moins de sel, de gras, de sucre et de viande. Finalement, la diète anti-inflammatoire ne présente guère d’originalité. «Ce type d’alimentation se rapproche majoritairement des grands principes du régime méditerranéen, on revient à des conseils de base, comme ceux proposés par la pyramide alimentaire», reconnaît Yasmina Zgoulli, de la HES-GE. Simple, basique, mais pas toujours mis en pratique, rappelle la diététicienne. Moins d’un quart des Suisses consomment cinq portions de fruits et légumes par jour.
La nourriture, un remède contre l’inflammation?
Pas uniquement, tient à préciser Zgoulli Yasmina, de l’HES-GE. «L’inflammation est un processus complexe et multifactoriel, lié notamment à la génétique, l’hygiène de vie ou l’environnement. Bien qu’étant un axe thérapeutique indispensable, la diète seule ne permet pas toujours de réduire un état inflammatoire.» Elle constitue une aide bienvenue, mais ne saurait remplacer une supervision médicale et les traitements établis par des médecins.
Quelles sont les recherches en cours?
Les mécanismes précis qui régissent les liens entre notre nourriture et notre santé présentent encore quelques angles morts. Dans ce contexte, la découverte du microbiote a constitué un énorme bond en avant et amené à de nouveaux axes de recherche, vis-à-vis de la migraine, alzheimer et parkinson, ou les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin. «On s’intéresse beaucoup au lien entre microbiote intestinal et endométriose, comment il pourrait impacter le développement de la maladie, ses symptômes et leur traitement», ajoute Nicola Pluchino, gynécologue au CHUV. De même que Philippe Gérard, de l’Inrae, a mis en évidence dans une étude à paraître prochainement un effet de la viande rouge sur le microbiote, qui contribuerait au risque augmenté de cancer du côlon.
Reste que la plupart des études sont observationnelles, et donc n’établissent pas de lien de causalité entre certaines pathologies et la dérégulation du microbiote. Quelques thérapies pour certaines maladies via le microbiote ont fait leur preuve, mais nous n’en sommes encore qu’aux prémices de la compréhension de son rôle sur notre santé. ■