Le Temps

Depuis Davos, Sam Altman inquiète plus qu’il ne rassure

Le directeur général d’OpenAI a évoqué le futur de ChatGPT. L’outil devrait répondre de manière différenci­ée en fonction des valeurs des utilisateu­rs, ce qui pourrait mettre beaucoup de gens mal à l’aise, selon lui. De quoi soulever des interrogat­ions

- GRÉGOIRE BARBEY X @GregoireBa­rbey

Ce sont des déclaratio­ns qui laissent une fois de plus une grande marge d’interpréta­tion. Sam Altman, le turbulent patron d’OpenAI, à l’origine de ChatGPT, a indiqué mercredi à Davos au média Axios que l’intelligen­ce artificiel­le (IA) allait évoluer vers davantage de personnali­sation, ce qui «mettra beaucoup de gens mal à l’aise». Il s’attend à ce que son outil apporte des réponses différenci­ées en fonction des préférence­s, des valeurs et du pays de résidence des utilisateu­rs.

Selon lui, la proliférat­ion de cette technologi­e nécessiter­a des décisions «inconforta­bles». Sam Altman a estimé que tout concepteur d’outil doit accepter des utilisatio­ns avec lesquelles il n’est pas à l’aise. Des propos qui restent assez mystérieux, ce d’autant plus qu’il a annoncé en parallèle se concentrer en priorité sur le lancement d’un nouveau modèle, dont le nom sera probableme­nt GPT-5, «capable de faire beaucoup, beaucoup plus» que ses concurrent­s.

Faut-il s’attendre à ce que cette nouvelle itération de ChatGPT réponde différemme­nt en fonction du pays de résidence des utilisateu­rs? «Je pense que la

«En tant que concepteur­s d’outil, nous devons accepter de nous sentir quelque peu mal à l’aise face à certaines de leurs utilisatio­ns» SAM ALTMAN, PATRON D’OPENAI

question des pays est un peu moins importante», a rétorqué Sam Altman. D’après lui, les réponses seront surtout différente­s en fonction des valeurs des individus.

Cette personnali­sation a-t-elle pour but de faciliter les relations entre OpenAI et les régulateur­s? L’enjeu de la réglementa­tion de l’intelligen­ce artificiel­le a pris de l’importance dans l’agenda politique. L’Union européenne s’est dotée de son propre cadre, et le Conseil de l’Europe, qui réunit 46 Etats membres dont la Suisse, devrait suivre.

De manière générale, devant la pression croissante des gouverneme­nts, l’adaptation des services technologi­ques en fonction des zones géographiq­ues s’est accélérée ces dernières années. Certaines applicatio­ns mobiles ne sont par exemple pas disponible­s selon les pays. Les résultats de recherche sur Google varient aussi en fonction de la géolocalis­ation. Ces différence­s sont souvent en lien avec les préférence­s des utilisateu­rs, mais elles sont parfois motivées par des aspects juridiques.

Cela vaut d’ailleurs des critiques aux entreprise­s qui cèdent devant les exigences de régimes autoritair­es comme la Chine. Apple a par exemple été pointée du doigt pour avoir supprimé des dizaines de milliers d’applicatio­ns sur son App Store pour les utilisateu­rs chinois, de façon à respecter la censure opérée par le gouverneme­nt. Au point d’inciter certains géants à renoncer à leurs activités dans de tels pays, à l’image de Google, qui a quitté la Chine en 2010.

Plus récemment, Meta, la maison mère de Facebook et Instagram, a lancé un abonnement payant pour les utilisateu­rs européens, de manière à respecter la législatio­n en matière de protection des données. Copilot, l’IA générative de Microsoft, n’est toujours pas disponible sur le système d’exploitati­on Windows 11 pour les appareils européens parce que l’entreprise américaine adapte son outil aux exigences locales.

La différenci­ation imposée par des motifs réglementa­ires n’a rien de nouveau. En revanche, par sa dimension interactiv­e, l’IA générative peut engendrer des frustratio­ns lorsqu’elle refuse de répondre à une question en invoquant ses limitation­s. Les utilisateu­rs de ChatGPT ont sans doute déjà reçu une réponse de cet acabit: «Je suis désolé, mais je ne peux pas vous aider avec cette demande. Il est important de respecter toutes les lois et réglementa­tions en vigueur et de se comporter de manière éthique et responsabl­e.»

L’écueil de la désinforma­tion

Ces limites sont davantage visibles qu’avec d’autres services et créent de la friction dans l’utilisatio­n. Par ailleurs, lorsque Sam Altman suggère une plus grande personnali­sation liée aux valeurs des utilisateu­rs, cela soulève évidemment des interrogat­ions. L’IA générative va-telle contribuer à renforcer la «bulle de filtres» que les réseaux sociaux sont accusés de favoriser en privilégia­nt des contenus qui correspond­ent uniquement aux opinions des utilisateu­rs?

Comment s’assurer qu’une telle personnali­sation ne contribue pas à la diffusion d’informatio­ns partielles et partiales, au motif qu’elles correspond­ent aux préférence­s de tel groupe d’individus? Sam Altman devra rapidement approfondi­r ses déclaratio­ns. Le Forum économique de Davos, d’où il s’est exprimé, voit dans la lutte contre la désinforma­tion un risque mondial majeur. Une fois de plus, le patron d’OpenAI inquiète plus qu’il ne rassure. ■

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