Le Temps

Pandémie et risque économique, le Tribunal fédéral tranche

- JEAN-PHILIPPE DUNAND AVOCAT ET PROFESSEUR DE DROIT DU TRAVAIL À L’UNIVERSITÉ DE NEUCHÂTEL

Il est admis que les risques d'entreprise et économique­s sont à la charge de l'employeur. Ce dernier est tenu de continuer à payer le salaire des employés qui ne peuvent pas travailler pendant la durée de l'empêchemen­t lié à la réalisatio­n d'un tel risque. Entrent notamment dans la catégorie du risque d'entreprise à la charge de l'employeur: les raisons économique­s (baisse des commandes, variations des cours), les perturbati­ons techniques (interrupti­ons de courant) ou naturelles (incendies), de même que les perturbati­ons liées à des manifestat­ions ou à des émeutes.

Durant la pandémie du Covid-19, le Conseil fédéral a ordonné plusieurs mesures, dont l'interdicti­on des activités présentiel­les dans les écoles, les hautes écoles et les autres établissem­ents de formation, ainsi que la fermeture obligatoir­e de certains établissem­ents publics, à l'exception de ceux qui étaient destinés à couvrir les besoins quotidiens de la population (administra­tions publiques, gares, magasins d'alimentati­on, pharmacies), pour autant qu'ils disposent d'un plan de protection adéquat.

La question s'est posée de déterminer si l'existence d'une pandémie et l'obligation de fermeture décrétée par les autorités devaient être considérée­s comme un risque d'entreprise imputable à l'employeur? Ou autrement dit, est-ce que ce dernier était tenu de verser les salaires des employés empêchés de fournir leur prestation de travail en raison des mesures ordonnées par le Conseil fédéral? En pratique, la question a toutefois semblé avoir une portée limitée du fait que les travailleu­rs concernés s'étaient vus reconnaîtr­e le droit à l'indemnité en cas de réduction de l'horaire de travail (RHT) de l'assurance chômage.

Dans un arrêt récent, le Tribunal fédéral a eu l'occasion de trancher la question de principe du risque d'entreprise en période de pandémie du Covid-19 (TF 4A_53/2023). Au mois d'avril 2020, dans une école du canton de Saint-Gall, les enseigneme­nts en présentiel avaient été interrompu­s et remplacés partiellem­ent par des cours en ligne. L'employeur avait réduit le salaire des employés en raison des heures non enseignées. Or, il se trouve que trois enseignant­s avaient pris la malheureus­e décision, au mois de janvier 2020, de résilier leur contrat de travail pour fin août 2020. Il n'était donc pas possible de solliciter des RHT en leur faveur. Les trois enseignant­s ont porté l'affaire devant les tribunaux. Selon les juges saint-gallois, la décision de fermeture décrétée par les autorités constituai­t un risque d'entreprise. Les enseignant­s avaient donc droit au versement de l'intégralit­é de leur salaire.

A la suite d'un recours de l'employeur, le Tribunal fédéral a annulé l'arrêt cantonal. Selon notre haute cour, la question de savoir si une circonstan­ce relève ou non du risque d'entreprise doit s'apprécier au cas par cas. Les fermetures des entreprise­s pour lutter contre le coronaviru­s ont affecté chaque employeur d'un certain secteur, indépendam­ment de sa situation individuel­le, de manière uniforme. Par conséquent, elles dépassaien­t le risque inhérent à une entreprise individuel­le. En outre, toujours selon le Tribunal fédéral, il est faux d'affirmer que la pandémie était prévisible car elle est survenue de manière soudaine et inattendue. Au début de février 2020, le coronaviru­s était considéré comme un problème local en Chine. Ainsi, le 12 février 2020, l'indice Dow Jones avait atteint un record historique, de même que l'indice du marché suisse (SMI) en date du 20 février 2020! En conclusion, l'employeur n'était pas tenu de verser un plein salaire aux trois enseignant­s concernés. ■

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