Le Temps

Christophe Honoré, chahuteur royal à Vidy

Avec «Les Doyens», le cinéaste français sublime nos fractures génération­nelles en comédie loufoque. Une pochade pour les enfants, mais pas seulement, au Théâtre de Vidy jusqu’à dimanche

- ALEXANDRE DEMIDOFF X @alexandred­mdff

Le ministre de l’Education nationale que la France attendait! Christophe Honoré pourrait bien un jour succéder à Amélie Oudéa-Castéra à la tête de la grande poudrière républicai­ne. Il serait sans doute moins chahuté que la nouvelle titulaire du maroquin, flagellée pour avoir mis ses enfants dans une école privée. Il aurait surtout une vision spirituell­e et détonante de l’enseigneme­nt. On galèje, on persifle sur la pente de la baliverne, certes. Mais le cinéaste de Guermantes – l’un des plus beaux films qui soient sur une vie de troupe, celle de la Comédie-Française – et du Lycéen invite ces jours, au Théâtre de Vidy, à une pochade pédagogiqu­e libératric­e et drôle.

L’école en miroir de nos sociétés chamboulée­s

Mieux que cela, une comédie sur le fossé des génération­s, sur celui qui sépare les boomers de leurs enfants, sur ce savoir qui brûle les doigts et qu’on ne sait pas toujours transmettr­e, sur la foi des profs, sur l’arrogance aussi de barbons qui prétendent détenir les clés de la connaissan­ce et la transforme­nt en citadelle hostile. Christophe Honoré met en scène une école qui est le miroir de nos sociétés chamboulée­s et qui cherche à rétablir le courant entre les génération­s. Son parti? Celui du rire.

Pas de thèse, bien sûr. L’auteur du bouleversa­nt Ciel de Nantes – à Vidy aussi dès le 31 janvier – ne mange pas de ce pain-là. A la trappe, les poseurs! Vive les farceurs. Vite dit en vérité. Car devant vous, ils seraient plutôt du genre sermonneur­s. Voyez les créatures, Fulbert Béranger (Jean-Charles Clichet) et Théobald Badaire (Julien Honoré, frère de Christophe). Ils trônent devant un tableau noir coulissant, petits marquis emperruqué­s des arts et des lettres. Ils sont la Sorbonne en chair et en bigoudis, celle du cardinal de Richelieu ou, plus sûrement, celle que Molière n’a pas fréquentée.

En novembre, aux Abbesses à Paris, ces deux savants timbrés lançaient, en guise de prologue, un sondage express pour connaître l’âge moyen de l’assistance. Huit ans et demi ce soir-là.

Le parfum de «La Boum», du coq à l’âne

La marmaille était hilare. Mais il n’y a pas d’âge pour goûter à ces Doyens. Fulbert et Théobald ont des ambitions: refaire le monde, de ses origines à aujourd’hui. Big Bang. Gaïa enfante Ouranos. La déesse mère accouche du ciel. Théobald et Fulbert maîtrisent leur Hésiode. Et Christophe Honoré la métrique de nos nostalgies. Soudain, un petit air de Boum – oui, le film de Claude Pinoteau avec la toute jeune Sophie Marceau – dégivre les gambettes et les mémoires. Nos clercs excellent dans le coq-àl’âne.

La boîte à surprises de la pop culture

Car «Ams tram gram/pic et pic et collegram» est la loi des Doyens. Un jeune homme en salopette (Sylvain Debry) entre dans la lice. Il sera tour à tour l’arbitre de débats co(s)miques, un élève rebelle, un fils tiraillé entre deux pères. Théobald et Fulbert joutent à présent dans un remake de Questions pour un champion. Puis règlent leur différend, raquette de ping-pong en main. Christophe Honoré puise dans la boîte à surprises de la pop culture.

La palabre est déraisonna­ble. L’amour est son échine. Il n’existerait pas, proclame Théobald. «Sornettes!», peste cette fleur bleue de Fulbert qui cite à son secours Roméo, Juliette et Anna Karénine. Riposte du grincheux, qui consulte l’auditoire: «Y en a-t-il parmi vous qui ont déjà été amoureux?» Des mains gamines se lèvent. Théobald ne se démonte pas qui prône le mariage arrangé.

Ces précieux en jabot perdent leur latin, leurs plumes et leur magistère. Le Père Noël s’invite. La classe chavire. Christophe Honoré ferait un excellent ministre de l’Education nationale. On vote pour lui. ■

Les Doyens, Lausanne, Théâtre de Vidy, jusqu’au 21 janvier, di à 11h; puis Le Ciel de Nantes, du 31 janvier au 8 février.

Ils sont la Sorbonne en chair et en bigoudis, celle du cardinal de Richelieu ou, plus sûrement, celle que Molière n’a pas fréquentée

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CHRISTOPHE HONORÉ RÉALISATEU­R ET METTEUR EN SCÈNE

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