L’union sacrée entre les Etats-Unis et Israël résiste
L’administration Biden ne cache plus sa frustration envers le gouvernement de Netanyahou, rétif à la moindre concession à l’égard des Palestiniens. Mais Washington répugne à faire pression sur son allié
XLe 23 décembre, l’avant-dernière fois que Joe Biden et Benyamin Netanyahou se sont parlé, cela s’est mal terminé. Selon le site Axios, le président américain a raccroché au nez du premier ministre israélien. Ce dernier renâclait à libérer des revenus fiscaux pour l’Autorité palestinienne, un moyen, selon la Maison-Blanche, d’acheter la paix sociale en Cisjordanie et d’éviter une extension de la guerre à Gaza.
Depuis cet échange acrimonieux, Joe Biden et Benyamin Netanyahou n’ont repris langue qu’hier. Selon l’exécutif américain, ils ont évoqué «les derniers événements à Gaza et en Israël» lors de cet entretien téléphonique dont les détails seront communiqués plus tard. Pourtant, les deux leaders se téléphonaient presque tous les jours après le massacre de 1200 Israéliens perpétré par le Hamas le 7 octobre 2023 et l’enlèvement de plus de 300 autres. Alors qu’il était au Forum économique de Davos mercredi – une semaine après une nouvelle tournée au Moyen-Orient –, le secrétaire d’Etat Antony Blinken a éludé la détérioration des relations avec le premier ministre israélien, qui est soupçonné de vouloir poursuivre la guerre pour prolonger sa survie politique.
Un plan américano-arabe
Les Etats-Unis continuent de soutenir fermement leur allié israélien, en lui fournissant une aide militaire et en neutralisant la pression internationale pour un cessez-le-feu à Gaza. En revanche, l’administration Biden veut poser les jalons pour un règlement politique du conflit, craignant un élargissement de la guerre. Washington en a déjà un aperçu avec les attaques des houthis au Yémen contre des navires prétendument en lien avec Israël en mer Rouge. En réponse, l’armée américaine a frappé jeudi pour la cinquième fois en une semaine ces miliciens proches de l’Iran.
Sur le front diplomatique, Antony Blinken a convaincu, selon la chaîne NBC, les riches pays du Golfe de financer la reconstruction de Gaza, en échange d’un plan pour la création d’un Etat palestinien. D’autres médias font écho d’un plan arabe en préparation selon ces mêmes paramètres. Benyamin Netanyahou a répété jeudi son opposition à la création d’un Etat palestinien, qui, selon ce plan, assurerait la reconnaissance d’Israël par les pays de la région.
«Est-ce qu’Israël a le premier ministre pour saisir cette opportunité?» a été interrogé Antony Blinken à Davos. «C’est aux Israéliens de décider», a-t-il répondu. Mais le diplomate a souligné que ce plan devrait être mis en oeuvre «aussi rapidement que possible» pour offrir d’autres perspectives que «la tragédie actuelle». Selon les services de la santé dans la bande de Gaza, dépendant du Hamas, l’offensive israélienne a tué plus de 24 000 habitants, dont une immense majorité de civils.
«Laisser les mains libres à Israël fait l’objet d’un consensus bipartisan rare à Washington»
EZRA COHEN, CHERCHEUR ASSOCIÉ À L’INSTITUT HUDSON
Très contesté en Israël, Benyamin Netanyahou a reporté toute discussion sur l’impréparation face à l’attaque du Hamas. «Le consensus en Israël est toujours très fort sur la nécessité d’éliminer le Hamas», témoigne Ezra Cohen, chercheur associé à l’institut Hudson et brièvement responsable des renseignements au Département de la défense à la fin de l’administration Trump. «Toute discussion politique est hors sujet, tant que le Hamas n’aura pas été éliminé et les otages libérés», poursuit cet expert, actuellement en visite en Israël.
Malgré les signes de frustration de l’administration Biden envers Benyamin Netanyahou, les EtatsUnis sont toujours fermement derrière leur allié israélien. Mardi, le Sénat a largement refusé une résolution réclamant un rapport sur la conformité des bombardements israéliens avec le droit international humanitaire avant de débloquer une nouvelle tranche d’aide.
«Les Etats-Unis sont complices de la tragédie actuelle, car les bombardements sont menés avec des armes américaines», a plaidé en vain le sénateur démocrate du Vermont Bernie Sanders. Seuls neuf autres élus de l’aile gauche du parti, plus un républicain, ont soutenu cette modeste exigence, 72 sénateurs s’y sont opposés. D’autres mesures visant à conditionner l’aide américaine sont encore en discussion. Une assistance supplémentaire de 14,3 milliards de dollars est toujours bloquée au Congrès, parce que le paquet comprend aussi un soutien militaire et financier de 61,4 milliards à l’Ukraine, bien plus controversé.
Coûts électoraux
«Laisser les mains libres à Israël fait l’objet d’un consensus bipartisan comme on en trouve rarement à Washington, pointe Ezra Cohen. Favoriser un cessez-le-feu serait une erreur et un aveu de faiblesse, alors que l’Iran et ses alliés sont passés à l’offensive. Le régime islamiste bombarde le Pakistan et les houthis au Yémen menacent la voie essentielle du commerce mondial de la mer Rouge.» Le chercheur résume ainsi le sentiment au sein du Parti républicain, qui rivalise de soutien à Israël et de déclarations menaçantes envers Téhéran.
Déjà à la traîne dans les sondages en vue de sa réélection en novembre prochain, le président Biden a tout à perdre d’une guerre sans fin à Gaza. Les jeunes, électorat traditionnellement plus favorable aux démocrates, sont de plus en plus remontés sur la manière dont le président gère cette crise internationale. «Depuis le 7 octobre, malgré son soutien sans réserve à Israël, le président Biden n’a pas réussi à influencer le gouvernement de Benyamin Netanyahou pour limiter les dégâts à Gaza», constate, dépité, Michael Hanna, chercheur à l’International Crisis Group, qui milite depuis trois mois pour un cessez-le-feu.
«C’est vrai que la rhétorique de l’administration Biden a changé, concède cet expert. Les plus cyniques diront que le but est de créer une distance avec les pires actions du gouvernement israélien afin de réduire le coût politique aux Etats-Unis de ce soutien. Selon lui, la pression sur le président pour qu’il change de politique à l’égard d’Israël va s’accentuer à mesure que la campagne électorale avance. Quant aux pays arabes, le chercheur estime qu’il est naïf d’imaginer qu’ils financeront volontiers la reconstruction à Gaza. «Les pays arabes proposent de normaliser les relations avec Israël en échange de la création d’un Etat palestinien depuis 2002. Mais, avec la guerre actuelle, les enchères ont monté.»
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