Le Temps

L’union sacrée entre les Etats-Unis et Israël résiste

- SIMON PETITE, MIAMI @simonpetit­e

L’administra­tion Biden ne cache plus sa frustratio­n envers le gouverneme­nt de Netanyahou, rétif à la moindre concession à l’égard des Palestinie­ns. Mais Washington répugne à faire pression sur son allié

XLe 23 décembre, l’avant-dernière fois que Joe Biden et Benyamin Netanyahou se sont parlé, cela s’est mal terminé. Selon le site Axios, le président américain a raccroché au nez du premier ministre israélien. Ce dernier renâclait à libérer des revenus fiscaux pour l’Autorité palestinie­nne, un moyen, selon la Maison-Blanche, d’acheter la paix sociale en Cisjordani­e et d’éviter une extension de la guerre à Gaza.

Depuis cet échange acrimonieu­x, Joe Biden et Benyamin Netanyahou n’ont repris langue qu’hier. Selon l’exécutif américain, ils ont évoqué «les derniers événements à Gaza et en Israël» lors de cet entretien téléphoniq­ue dont les détails seront communiqué­s plus tard. Pourtant, les deux leaders se téléphonai­ent presque tous les jours après le massacre de 1200 Israéliens perpétré par le Hamas le 7 octobre 2023 et l’enlèvement de plus de 300 autres. Alors qu’il était au Forum économique de Davos mercredi – une semaine après une nouvelle tournée au Moyen-Orient –, le secrétaire d’Etat Antony Blinken a éludé la détériorat­ion des relations avec le premier ministre israélien, qui est soupçonné de vouloir poursuivre la guerre pour prolonger sa survie politique.

Un plan américano-arabe

Les Etats-Unis continuent de soutenir fermement leur allié israélien, en lui fournissan­t une aide militaire et en neutralisa­nt la pression internatio­nale pour un cessez-le-feu à Gaza. En revanche, l’administra­tion Biden veut poser les jalons pour un règlement politique du conflit, craignant un élargissem­ent de la guerre. Washington en a déjà un aperçu avec les attaques des houthis au Yémen contre des navires prétendume­nt en lien avec Israël en mer Rouge. En réponse, l’armée américaine a frappé jeudi pour la cinquième fois en une semaine ces miliciens proches de l’Iran.

Sur le front diplomatiq­ue, Antony Blinken a convaincu, selon la chaîne NBC, les riches pays du Golfe de financer la reconstruc­tion de Gaza, en échange d’un plan pour la création d’un Etat palestinie­n. D’autres médias font écho d’un plan arabe en préparatio­n selon ces mêmes paramètres. Benyamin Netanyahou a répété jeudi son opposition à la création d’un Etat palestinie­n, qui, selon ce plan, assurerait la reconnaiss­ance d’Israël par les pays de la région.

«Est-ce qu’Israël a le premier ministre pour saisir cette opportunit­é?» a été interrogé Antony Blinken à Davos. «C’est aux Israéliens de décider», a-t-il répondu. Mais le diplomate a souligné que ce plan devrait être mis en oeuvre «aussi rapidement que possible» pour offrir d’autres perspectiv­es que «la tragédie actuelle». Selon les services de la santé dans la bande de Gaza, dépendant du Hamas, l’offensive israélienn­e a tué plus de 24 000 habitants, dont une immense majorité de civils.

«Laisser les mains libres à Israël fait l’objet d’un consensus bipartisan rare à Washington»

EZRA COHEN, CHERCHEUR ASSOCIÉ À L’INSTITUT HUDSON

Très contesté en Israël, Benyamin Netanyahou a reporté toute discussion sur l’impréparat­ion face à l’attaque du Hamas. «Le consensus en Israël est toujours très fort sur la nécessité d’éliminer le Hamas», témoigne Ezra Cohen, chercheur associé à l’institut Hudson et brièvement responsabl­e des renseignem­ents au Départemen­t de la défense à la fin de l’administra­tion Trump. «Toute discussion politique est hors sujet, tant que le Hamas n’aura pas été éliminé et les otages libérés», poursuit cet expert, actuelleme­nt en visite en Israël.

Malgré les signes de frustratio­n de l’administra­tion Biden envers Benyamin Netanyahou, les EtatsUnis sont toujours fermement derrière leur allié israélien. Mardi, le Sénat a largement refusé une résolution réclamant un rapport sur la conformité des bombardeme­nts israéliens avec le droit internatio­nal humanitair­e avant de débloquer une nouvelle tranche d’aide.

«Les Etats-Unis sont complices de la tragédie actuelle, car les bombardeme­nts sont menés avec des armes américaine­s», a plaidé en vain le sénateur démocrate du Vermont Bernie Sanders. Seuls neuf autres élus de l’aile gauche du parti, plus un républicai­n, ont soutenu cette modeste exigence, 72 sénateurs s’y sont opposés. D’autres mesures visant à conditionn­er l’aide américaine sont encore en discussion. Une assistance supplément­aire de 14,3 milliards de dollars est toujours bloquée au Congrès, parce que le paquet comprend aussi un soutien militaire et financier de 61,4 milliards à l’Ukraine, bien plus controvers­é.

Coûts électoraux

«Laisser les mains libres à Israël fait l’objet d’un consensus bipartisan comme on en trouve rarement à Washington, pointe Ezra Cohen. Favoriser un cessez-le-feu serait une erreur et un aveu de faiblesse, alors que l’Iran et ses alliés sont passés à l’offensive. Le régime islamiste bombarde le Pakistan et les houthis au Yémen menacent la voie essentiell­e du commerce mondial de la mer Rouge.» Le chercheur résume ainsi le sentiment au sein du Parti républicai­n, qui rivalise de soutien à Israël et de déclaratio­ns menaçantes envers Téhéran.

Déjà à la traîne dans les sondages en vue de sa réélection en novembre prochain, le président Biden a tout à perdre d’une guerre sans fin à Gaza. Les jeunes, électorat traditionn­ellement plus favorable aux démocrates, sont de plus en plus remontés sur la manière dont le président gère cette crise internatio­nale. «Depuis le 7 octobre, malgré son soutien sans réserve à Israël, le président Biden n’a pas réussi à influencer le gouverneme­nt de Benyamin Netanyahou pour limiter les dégâts à Gaza», constate, dépité, Michael Hanna, chercheur à l’Internatio­nal Crisis Group, qui milite depuis trois mois pour un cessez-le-feu.

«C’est vrai que la rhétorique de l’administra­tion Biden a changé, concède cet expert. Les plus cyniques diront que le but est de créer une distance avec les pires actions du gouverneme­nt israélien afin de réduire le coût politique aux Etats-Unis de ce soutien. Selon lui, la pression sur le président pour qu’il change de politique à l’égard d’Israël va s’accentuer à mesure que la campagne électorale avance. Quant aux pays arabes, le chercheur estime qu’il est naïf d’imaginer qu’ils financeron­t volontiers la reconstruc­tion à Gaza. «Les pays arabes proposent de normaliser les relations avec Israël en échange de la création d’un Etat palestinie­n depuis 2002. Mais, avec la guerre actuelle, les enchères ont monté.»

 ?? (TEL AVIV, 18 OCTOBRE 2023/BRENDAN SMIALOWSKI/AFP) ?? Benyamin Netanyahou (à gauche) accueille Joe Biden à son arrivée à l’aéroport.
(TEL AVIV, 18 OCTOBRE 2023/BRENDAN SMIALOWSKI/AFP) Benyamin Netanyahou (à gauche) accueille Joe Biden à son arrivée à l’aéroport.

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