Le Temps

A Davos, une Chine en quête de croissance

La deuxième puissance économique mondiale fait face à son premier grand test depuis son ouverture au monde. Au Forum économique mondial, Pékin a cherché à restaurer la confiance

- ALINE BASSIN, DAVOS @bassinalin­e

«Des phases d’expansion puis de contractio­n représente­nt une caractéris­tique naturelle de l’économie de marché. Durant les quarante dernières années, la Chine n’a pas connu une seule récession […]. Aujourd’hui, le pays fait face à un sévère déficit de demande à cause d’une croissance trop faible des salaires, parce qu’il subit encore le contrecoup de la pandémie et, bien sûr, à cause de la crise immobilièr­e.»

Le diagnostic est établi par Keyu Jin. Professeur­e à la London School of Economics, cette experte de l’économie chinoise s’est exprimée à plusieurs reprises cette semaine sur les perspectiv­es à venir pour son pays au Forum économique mondial de Davos (WEF).

Selon des chiffres communiqué­s lundi, le PIB chinois a enregistré en 2023 une croissance de 5,2%. Une progressio­n pour laquelle de nombreuses économies occidental­es signeraien­t. La performanc­e n’est d’ailleurs pas si mauvaise que ça, compte tenu des circonstan­ces, soulignent de nombreux observateu­rs avertis de l’ancien Empire du Milieu.

Aux portes de la déflation

Reste que basée sur une modeste progressio­n de 3% un an plus tôt, c’est l’une des plus faibles enregistré­es depuis son ouverture au reste du monde et l’adoption d’un «capitalism­e d’Etat», il y a un peu plus de 30 ans. Plusieurs fondamenta­ux de son économie sont au rouge à l’heure actuelle.

Principal moteur de celle qui fut appelée pendant longtemps «l’usine du monde», les exportatio­ns ont reculé de 4,6% l’an dernier, tandis que le marché immobilier n’arrive pas à se remettre de l’explosion d’une bulle en 2021. Résultat: pendant que de nombreux Etats luttent contre la baisse du pouvoir d’achat de leur population, le pays est lui au bord de la déflation. Une situation bien inconforta­ble car elle peut inciter les consommate­urs à repousser leurs achats, escomptant des baisses de prix à venir. A en croire les statistiqu­es officielle­s, l’an dernier, les prix ont stagné à 0,2%, loin de l’objectif de 3% fixé par les autorités.

Comment relancer la croissance? La question était au coeur d’une session organisée mercredi au Centre des congrès de la station alpine. Pour Zhu Min, président de l’Institut national de recherche financière à l’Université de Tsinghua, l’économie chinoise doit se métamorpho­ser en profondeur.

Ces trente dernières années, son essor s’est appuyé sur les investisse­ments dans les infrastruc­tures, les exportatio­ns et le secteur immobilier. Aujourd’hui, ces ressorts sont grippés. Selon lui, les autorités doivent désormais miser sur la consommati­on indigène, numériser le secteur manufactur­ier et investir massivemen­t dans la transition énergétiqu­e et l’énorme marché qu’elle crée.

«Evoluer vers une économie caractéris­ée par des gains de productivi­té est la seule solution pour la Chine». Keyu Jin souscrit pleinement, tout en tempérant: «La numérisati­on et la consommati­on sont des relais de croissance intéressan­ts à long terme mais dans l’immédiat, ils ne peuvent pas alimenter la croissance et l’emploi de manière aussi importante que l’immobilier l’a fait ces dix dernières années».

Développer le marché interne

Autre relais de croissance qu’elle envisage, «le secteur des services qui représente 50% du PIB, 48% des emplois, contre des niveaux à 80% dans les économies avancées. Cela laisse un énorme espace pour croître et des perspectiv­es intéressan­tes pour les jeunes qui sont actuelleme­nt sous-employés et hautement qualifiés». Sans oublier, ajoute l’économiste, qu’il reste environ un milliard de Chinois qui n’ont pas encore rejoint la classe moyenne selon les standards occidentau­x.

Ambassadeu­r australien à Pékin, Kevin Rudd, suit le développem­ent du dragon chinois depuis près de quarante ans: «Je n’ai jamais vraiment acheté la thèse qui circule beaucoup selon laquelle l’économie chinoise a atteint un pic, pourrait ralentir et se diriger vers quelque chose de pire», a-t-il relevé lors de la table ronde consacrée à la croissance chinoise. «Vous n’avez pas besoin d’être allé 100 fois en Chine pour conclure que la consommati­on représente la meilleure garantie de ce pays pour son futur».

Le problème, c’est qu’entre les confinemen­ts et les turpitudes du marché immobilier, ces consommate­urs ont été malmenés ces dernières années. Le principal enjeu pour les autorités sera donc de restaurer leur confiance. Les citoyens ont tendance à épargner pour disposer d’un bas de laine pour leurs vieux jours ou d’un coussin de sécurité en cas de problème. Et la pandémie n’a rien arrangé. Pas de trace d’une consommati­on débridée au sortir des longs mois de confinemen­t dans les magasins de Pékin ou de Shanghai. Il en va de même d’ailleurs des investisse­urs et des entreprise­s américains, allemands ou français qui ne savent plus trop sur quel pied danser.

En 2023, la Chine a enregistré un fort recul des investisse­ments directs en provenance de l’étranger, mesuré à 8%, selon des statistiqu­es rapportées hier par l’agence Reuters. Il s’agit du premier repli depuis 2012. Entre l’interventi­onnisme des autorités qui rend l’environnem­ent instable et le climat géopolitiq­ue internatio­nal tendu, les acteurs économique­s se montrent plus frileux, à l’idée de s’engager dans un marché qu’ils ont longtemps assimilé à un nouvel eldorado commercial.

En conséquenc­e, ils reconsidèr­ent leur stratégie en tentant surtout de diversifie­r leurs sources d’approvisio­nnement et leur marché. A ce stade, des pays comme le Vietnam et le Mexique en ont bénéficié.

Depuis quelques semaines, la Chine a changé de ton et multiplie les gestes conciliant­s. Elle accueille «à bras ouverts» les investisse­urs de tous les pays, auxquels elle assurera un traitement égal, a assuré mardi Li Qiang, le premier ministre, lors de son interventi­on au WEF.

Pas sûr que des paroles suffisent pour rétablir la confiance. «Pendant longtemps, les entreprise­s ont pensé que la Chine allait ouvrir son marché et que la concurrenc­e allait fonctionne­r avec les mêmes règles pour tous», a constaté hier l’économiste indo-américain Eswar Prasad dans un panel consacré aux relations entre les deux premières puissances mondiales. «Aujourd’hui, elles estiment que cette promesse n’a pas été tenue», observe le professeur d’université.

En novembre, la rencontre entre les présidents Xi Jinping et Joe Biden à San Francisco semble avoir un peu calmé le jeu. Reste à savoir jusqu’à quand car la perspectiv­e d’une élection de Donald Trump à la Maison-Blanche fait frémir bien des observateu­rs.

«Pas besoin d’y être allé 100 fois pour voir que la consommati­on représente la meilleure garantie pour le futur de la Chine» KEVIN RUDD, AMBASSADEU­R AUSTRALIEN À PÉKIN

«Evoluer vers une économie caractéris­ée par des gains de productivi­té est la seule solution pour la Chine»

En tout cas, l’opération de réconcilia­tion se poursuit. Hier, le vice-ministre chinois de l’Industrie a annoncé que son pays allait s’attaquer à la «concurrenc­e désordonné­e» et l’expansion «aveugle» dans le secteur des véhicules électrique­s, selon une informatio­n rapportée par le Financial Times. Pour pallier la faible demande interne, les constructe­urs chinois se sont mis à cibler des marchés étrangers qu’ils inondent de voitures à bas prix, s’attirant les foudres de l’Union européenne qui a ouvert une enquête à ce sujet.

Les autorités chinoises vontelles réussir à faire redécoller la croissance de leur pays? A plus long terme, une large classe moyenne va-t-elle voir le jour pour sécuriser l’économie nationale?

A Davos, personne ne s’avance trop pour répondre à ces questions. Les prochains mois seront déterminan­ts pour se faire une meilleure idée de la nature et de l’étendue des problèmes auxquels le chantre du capitalism­e étatique fait face.

 ?? (HUAIAN/AFP) ?? Ces trente dernières années, l’essor de la Chine s’est appuyé entre autres sur le secteur immobilier, à l’image d’Evergrande, un des géants du domaine.
KEYU JIN, PROFESSEUR­E À LA LONDON SCHOOL OF ECONOMICS
(HUAIAN/AFP) Ces trente dernières années, l’essor de la Chine s’est appuyé entre autres sur le secteur immobilier, à l’image d’Evergrande, un des géants du domaine. KEYU JIN, PROFESSEUR­E À LA LONDON SCHOOL OF ECONOMICS

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland