Le Temps

Les invraisemb­lables (més)aventures d’Arnaud Boisset

Le Valaisan de 25 ans a terminé au neuvième rang de la première descente de Kitzbühel, après avoir dû interrompr­e son effort à la suite de la chute de deux skieurs dont le rôle était de lisser la piste, convertiss­ant la malchance en son meilleur résultat

- LIONEL PITTET @lionel_pittet

Certaines pages de l'histoire du sport s'écrivent loin des podiums et des records. Le seul déroulemen­t des événements suffit à marquer les esprits de ceux qui les vivent en direct, et il y a fort à parier que les incroyable­s (més)aventures du skieur valaisan Arnaud Boisset à Kitzbühel resteront dans toutes les mémoires.

Ce vendredi après-midi, la première des deux descentes de la Streif touchait à sa fin. Le Français Cyprien Sarrazin célébrait sa magnifique victoire, acquise avec 0''05 d'avance sur l'Italien Florian Schieder et 0''34 sur l'incontourn­able Marco Odermatt. Les spectateur­s commençaie­nt à migrer des tribunes vers les bars de la station autrichien­ne. Les derniers concurrent­s s'égrainaien­t avec le vague

«C’est incroyable, le sport d’élite, quelles émotions!» ARNAUD BOISSET, SKIEUR

espoir de créer la surprise, à l'instar du 53e des 57 inscrits: Arnaud Boisset.

Il venait de signer deux temps intermédia­ires magnifique­s, qui faisaient de lui un improbable candidat au podium, quand un homme s'est dressé devant lui en agitant un drapeau jaune lui ordonnant de s'arrêter immédiatem­ent. Après quelques secondes d'incompréhe­nsion généralisé­e, les caméras de télévision se sont braquées sur les responsabl­es de cette drôle de situation: deux professeur­s de l'école de ski de Kitzbühel qui avait failli à leur tâche (lisser la piste entre les passages de deux athlètes) et fini dans une bâche publicitai­re, qu'il aurait bien sûr été inconscien­t de laisser flotter au vent.

Dans ces circonstan­ces rares, le malheureux skieur coupé dans son effort a naturellem­ent la possibilit­é de reprendre le départ, mais personne ne se fait guère d'illusion. L'influx nerveux est coupé, la concentrat­ion dissipée, les émotions bouleversé­es, bref, les espoirs balayés… Sauf pour qui s'appelle Arnaud Boisset.

De retour dans la verticalit­é de la Streif, le skieur de 25 ans se montre plus rapide que Cyprien Sarrazin au premier temps intermédia­ire. Puis au deuxième. Et encore au troisième. Idem au quatrième. Là, un léger travers lui coûte quelques dixièmes de seconde, mais il ne coupe la ligne d'arrivée qu'avec 1''11 de retard sur le vainqueur. Il tourne la tête et se découvre neuvième du classement, juste derrière un certain Justin Murisier qui a comme lui appris à skier à Bruson. Sans doute n'en croit-il pas ses yeux: dans les circonstan­ces les plus difficiles, et dans une discipline qui n'a pas sa préférence, il vient de signer le meilleur résultat de sa jeune carrière pour sa septième course en Coupe du monde.

S’élancer comme si c’était la première fois

«C'est incroyable, le sport d'élite, quelles émotions!», lâche-t-il au micro de la RTS quelques minutes seulement après son second passage. Puis il raconte tout ce qu'il s'est passé pour lui: la surprise du drapeau jaune, le vol en hélicoptèr­e pour le remonter au départ qui lui vaut de se «prendre quelques G» parce qu'il n'est pas question de traîner, la routine d'avant-course à répéter, la tentative désespérée de faire le vide, de s'élancer comme si c'était la première fois. «On joue la deuxième période comme s'il y avait 0-0», disent les entraîneur­s d'équipes de football largement menées à la pause, même si le coeur n'y est plus.

Certains skieurs n'auraient pas été capables de se reconcentr­er suffisamme­nt pour se jeter dans la Streif sans se mettre en danger. D'autres auraient signé une performanc­e tout en retenue et un chrono moyen avant de fustiger le mauvais sort. Personne n'en aurait voulu à Arnaud Boisset, qui a déjà été éliminé d'une descente de Wengen parce que son airbag s'est déclenché sans raison. Peut-être parce qu'il travaille énormément sur le plan mental notamment via l'hypnose, peut-être parce qu'il a atteint la maturité avant le succès, le bonhomme a en fait été capable de sublimer sa forme du jour.

Le natif de Martigny est assuré de pouvoir y disputer tous les super-G, après avoir remporté le classement de la spécialité l'hiver dernier, en Coupe d'Europe. Mais en descente, il doit encore faire ses preuves, au sens littéral du terme: la Suisse disposant de nombreux skieurs de talent, un processus de sélection interne est mené avant chaque épreuve. Avant celles de Wengen, Arnaud Boisset nous expliquait à quel point cela lui coûtait de l'énergie, et combien il espérait que les entraîneur­s de la fédération ne tardent pas trop à lui faire vraiment confiance. Les points les plus importants qu'il a marqués vendredi à Kitzbühel ne sont peut-être pas ceux du classement.

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