Fin de l’humain ou fin de la nation, la confrontation des tribus
La Suisse est au centre géographique d'une montée des partis d'extrême droite. A moins de six mois des élections européennes, les sondages attestent que les formations nationalistes et eurosceptiques ont le vent en poupe chez tous nos voisins. Elles sont en tête des intentions de vote en France (Rassemblement national), en Autriche (Parti de la liberté), en Italie (Fratelli d'Italia) et en deuxième position en Allemagne (Alternative pour l'Allemagne). L'unique autre pays européen où les populistes caracolent en tête sont les Pays-Bas avec la formation de Geert Wilders, le Parti pour la liberté, qui vient de remporter les élections législatives. A l'image de l'UDC suisse, ces partis agrègent aujourd'hui entre un quart et un tiers de l'électorat.
Selon les projections de mi-janvier du site d'information Euractiv, le prochain
Parlement européen ne sera toutefois pas fondamentalement modifié. Diverses lectures sont possibles. On peut choisir de voir un hémicycle divisé en un tiers contrôlé par l'extrême droite, un tiers aux mains du centre droit et un tiers réunissant les diverses gauches. On peut aussi s'en tenir à une approche binaire gauche-droite autour des deux grandes formations qui continuent de dominer: le Parti populaire d'une part, autour duquel s'agrégeraient l'ensemble des droites, majoritaire, et les sociaux-démocrates regroupant les diverses gauches et les libéraux d'autre part. Voilà pour l'approche classique. Tout cela doit se teindre de multiples nuances. On n'observe pas de révolution, mais un glissement conservateur.
On peut aussi rompre avec ces vieux schémas, décréter que la césure idéologique gauche-droite est morte avec
la fin du XXe siècle. C'est ce que proposent deux politologues, Ivan Krastev et Mark Leonard, pour le compte de l'European Council on Foreign Relations, qui publient un autre sondage, toujours en lien avec les élections européennes. Les chercheurs ont demandé à un échantillon de citoyens de neuf pays de l'UE ainsi qu'à des Britanniques et des Suisses lequel de ces problèmes, lors de la décennie écoulées, a le plus fait évoluer leur vision du futur: le changement climatique, l'immigration, la pandémie de Covid-19, l'agression russe de l'Ukraine, les troubles économiques mondiaux, enfin «autre chose» ou «ne sait pas». L'interprétation des réponses amène ces chercheurs à créer cinq «tribus de crises» dont le comportement de vote devrait avoir un plus grand impact sur les élections que les affiliations politiques héritées du passé.
La première «tribu» est celle des citoyens inquiets du changement climatique, quasiment à égalité avec les «tribus de crise» liées à la pandémie et à l'économie. L'immigration vient en quatrième position, devant l'agression russe qui ferme ce classement en compagnie du groupe de ceux qui n'identifient aucune de ces problématiques comme majeure. Sur cette base et celle des récentes élections aux Pays-Bas, les auteurs du rapport estiment que les élections européennes pourraient présenter un affrontement entre deux «extinctions rebellions»: le changement climatique et l'immigration. «Les membres de la première «tribu» craignant l'extinction de la vie humaine et ceux de la seconde craignant la disparition de leur nation et de leur identité culturelle.»
Selon cette approche, il serait vain pour les deux grands partis dominant encore le parlement européen, comme ce fut la tentation par le passé, de faire de ces élections un référendum sur l'UE. Les deux grands marqueurs, climat et immigration, se sont diffusés dans l'ensemble des partis, ou presque, avec des réponses nationales ou communautaires. Quant aux Suisses, leurs inquiétudes sont au diapason de la moyenne des autres Européens. Rien ne les distingue.
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