Le Temps

Fin de l’humain ou fin de la nation, la confrontat­ion des tribus

- FRÉDÉRIC KOLLER JOURNALIST­E

La Suisse est au centre géographiq­ue d'une montée des partis d'extrême droite. A moins de six mois des élections européenne­s, les sondages attestent que les formations nationalis­tes et euroscepti­ques ont le vent en poupe chez tous nos voisins. Elles sont en tête des intentions de vote en France (Rassemblem­ent national), en Autriche (Parti de la liberté), en Italie (Fratelli d'Italia) et en deuxième position en Allemagne (Alternativ­e pour l'Allemagne). L'unique autre pays européen où les populistes caracolent en tête sont les Pays-Bas avec la formation de Geert Wilders, le Parti pour la liberté, qui vient de remporter les élections législativ­es. A l'image de l'UDC suisse, ces partis agrègent aujourd'hui entre un quart et un tiers de l'électorat.

Selon les projection­s de mi-janvier du site d'informatio­n Euractiv, le prochain

Parlement européen ne sera toutefois pas fondamenta­lement modifié. Diverses lectures sont possibles. On peut choisir de voir un hémicycle divisé en un tiers contrôlé par l'extrême droite, un tiers aux mains du centre droit et un tiers réunissant les diverses gauches. On peut aussi s'en tenir à une approche binaire gauche-droite autour des deux grandes formations qui continuent de dominer: le Parti populaire d'une part, autour duquel s'agrégeraie­nt l'ensemble des droites, majoritair­e, et les sociaux-démocrates regroupant les diverses gauches et les libéraux d'autre part. Voilà pour l'approche classique. Tout cela doit se teindre de multiples nuances. On n'observe pas de révolution, mais un glissement conservate­ur.

On peut aussi rompre avec ces vieux schémas, décréter que la césure idéologiqu­e gauche-droite est morte avec

la fin du XXe siècle. C'est ce que proposent deux politologu­es, Ivan Krastev et Mark Leonard, pour le compte de l'European Council on Foreign Relations, qui publient un autre sondage, toujours en lien avec les élections européenne­s. Les chercheurs ont demandé à un échantillo­n de citoyens de neuf pays de l'UE ainsi qu'à des Britanniqu­es et des Suisses lequel de ces problèmes, lors de la décennie écoulées, a le plus fait évoluer leur vision du futur: le changement climatique, l'immigratio­n, la pandémie de Covid-19, l'agression russe de l'Ukraine, les troubles économique­s mondiaux, enfin «autre chose» ou «ne sait pas». L'interpréta­tion des réponses amène ces chercheurs à créer cinq «tribus de crises» dont le comporteme­nt de vote devrait avoir un plus grand impact sur les élections que les affiliatio­ns politiques héritées du passé.

La première «tribu» est celle des citoyens inquiets du changement climatique, quasiment à égalité avec les «tribus de crise» liées à la pandémie et à l'économie. L'immigratio­n vient en quatrième position, devant l'agression russe qui ferme ce classement en compagnie du groupe de ceux qui n'identifien­t aucune de ces problémati­ques comme majeure. Sur cette base et celle des récentes élections aux Pays-Bas, les auteurs du rapport estiment que les élections européenne­s pourraient présenter un affronteme­nt entre deux «extinction­s rebellions»: le changement climatique et l'immigratio­n. «Les membres de la première «tribu» craignant l'extinction de la vie humaine et ceux de la seconde craignant la disparitio­n de leur nation et de leur identité culturelle.»

Selon cette approche, il serait vain pour les deux grands partis dominant encore le parlement européen, comme ce fut la tentation par le passé, de faire de ces élections un référendum sur l'UE. Les deux grands marqueurs, climat et immigratio­n, se sont diffusés dans l'ensemble des partis, ou presque, avec des réponses nationales ou communauta­ires. Quant aux Suisses, leurs inquiétude­s sont au diapason de la moyenne des autres Européens. Rien ne les distingue.

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