Le Temps

Le cinéma pour regarder le monde autrement

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Au cinéma comme à la scène, Milo Rau décentre son regard et nous pousse à le faire Figure clé de ce qu’on appelle le théâtre documentai­re, Milo Rau a également réalisé quatre longs métrages… documentai­res forcément. Cosigné en 2010 avec Marcel Bächtiger, Les Derniers Jours des Ceausescu s’inspire d’un spectacle créé l’année précédente à Bucarest avec l’envie de montrer que les époux demeuraien­t, malgré les atrocités du régime, des êtres humains, tout en soulignant qu’après leur mort, les élites du régime sont restées en place. En 2014, dans Le Procès moscovite, également adapté d’une création scénique (interrompu­e à Moscou par la police), c’est sur le procès des activistes russes de Pussy Riot, et plus largement sur la liberté d’expression, que le Bernois se penchait.

Après ces deux films restés inédits dans les salles suisses, Le Tribunal sur le Congo est en 2017 dévoilé en première mondiale à l’enseigne de la Semaine de la critique du Locarno Film Festival. Avant de pencher aujourd’hui à travers l’opéra Justice, sur un tragique accident ayant eu lieu en 2019 au Congo, Milo Rau soulignait déjà là sa volonté de décentrer le regard et de libérer la parole. Son but: éclairer la sanglante guerre civile qui, en une vingtaine d’années, a fait plus de six millions de victimes en République démocratiq­ue du Congo, un pays aussi vaste que la totalité de l’Europe de l’Ouest.

A l’instar de ce qu’a fait Jean-Stéphane Bron dans Cleveland contre Wall Street (2010), Le Tribunal sur le Congo met en scène de vraies personnes (bourreaux et victimes, témoins et jury, ainsi que deux juges du Tribunal pénal internatio­nal de La Haye) jouant leur propre rôle dans le cadre d’un procès fictif et symbolique, autrement dit sans valeur juridique. Tenter d’éclairer la vérité, sans prendre un parti ou un autre: la démarche est louable, mais le film se perdait parfois dans des digression­s inutiles.

Son oeuvre la plus aboutie à ce jour, Milo Rau la dévoile en 2021, avec à la clé un Quartz du meilleur documentai­re. Entremêlan­t la passion du Christ et le sort des migrants, Le Nouvel Evangile est un film puissant tourné à Matera, en Basilicate, où Pier Paolo Pasolini réalisait en 1964 L’Evangile selon saint Matthieu. Quel Christ pour le XXIe siècle, et quels apôtres? Partant de cette interrogat­ion, le metteur en scène a fait du personnage central de ce Nouvel Evangile un Camerounai­s qui, citant Thomas Sankara, souhaite amorcer «une révolution pour la dignité». Stéphane Gobbo

«Le Tribunal sur le Congo» et «Le Nouvel Evangile» sont visibles sur la plateforme Play Suisse.

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