«Margot Robbie use de son «star power» pour faire bouger les choses»
A Hollywood, l’Argovien Marc Mounier gère la carrière des grands noms de demain dans une des plus prestigieuses agences. Il y a notamment observé la naissance du blockbuster «Barbie»
Il est depuis quatre ans manager dans une des plus grandes agences de talents de Los Angeles, Entertainment 360. Gamin, le cinéma n’intéressait pourtant pas plus que ça cet Argovien de 34 ans. A l’adolescence, Marc Mounier commence à travailler pour la chaîne musicale alémanique Viva, puis s’oriente du côté de la vidéo et du théâtre à l’université, avant de se retrouver assistant de production à l’émission de la SRF 10 vor 10. C’est là qu’il tombe réellement amoureux du milieu. Si bien qu’en 2014 il pose ses valises à Los Angeles pour suivre les cours de la prestigieuse Université de Californie du Sud (USC). Depuis, il s’est retrouvé aux premières loges pour assister à la naissance de Barbie, le plus gros succès cinéma de 2023, puisque Margot Robbie et sa réalisatrice Greta Gerwig sont des clientes de l’agence, mais aussi pour voir éclater la grève des acteurs et des scénaristes.
En tant que manager, quel est votre travail au sein d’Entertainment 360?
Je gère la carrière d’artistes, et plus particulièrement de scénaristes qui travaillent dans le milieu du film et de la télévision. J’essaie de sélectionner pour eux les meilleurs projets en développant différentes stratégies. Pour vous donner un exemple, en 2019, je tombe sur le court métrage Ponyboi, produit, scénarisé et interprété par une personne intersexe, River Gallo. Je trouve le film formidable et, alors qu’il cherchait à en tirer un long métrage, un thriller, je le fais aussitôt signer… On a mis quatre ans pour le développer et aujourd’hui le film est sélectionné au Festival de Sundance. Et comme j’ai aidé à développer le scénario, assemblé toute l’équipe et travaillé sur le casting, ils m’ont donné le crédit de producteur associé. Je ne m’implique pas toujours autant dans un film, mais là c’est vraiment un projet qui me tenait à coeur.
Margot Robbie faisant partie des clients de votre société, avez-vous assisté aux premières négociations autour de «Barbie»?
De loin, on va dire, car je n’en suis pas encore au stade de gérer ce type de contrat. Warner avait racheté le projet, qui végétait chez Sony, et l’avait envoyé à Margot et sa société de production, LuckyChap, avec qui elle a un bon contact. C’était juste une idée. Mais ça a fait tilt chez Margot, qui a accepté à la condition que Greta Gerwig, la réalisatrice de Lady Bird, également l’une de nos clientes, se charge de la réalisation. On les avait justement présentées l’une à l’autre peu de temps auparavant. Elles se sont très bien entendues et Greta a écrit le film avec son mari Noah Baumbach. Warner et Mattel ont un peu tiqué sur les moqueries que le scénario faisait à leur encontre, mais Margot a usé de son statut de star pour défendre cette vision. Elle est vraiment incroyable. Elle s’implique énormément, fait bouger les choses, apporte son aide à différents projets, vient dans nos bureaux écouter un pitch après une longue journée de tournage… C’est rare qu’une star s’implique autant.
Vous avez choisi de gérer la carrière de scénaristes plutôt que d’acteurs. Pourquoi? Quand je suis arrivé à Entertainment 360, je sortais de l’USC, mais mon visa était sur le point d’expirer et je ne trouvais pas de travail. J’ai finalement été engagé ici, mais au courrier. J’avais un diplôme de la meilleure école de cinéma du pays, j’avais passé mon bachelor à Saint-Gall en gestion d’affaires, mes copains de l’époque voyageaient aux quatre coins du monde en classe business pour leur travail, et moi je me retrouvais tout en bas de l’échelle. Mais ce job me permettait de rester aux Etats-Unis… Bref, deux mois après, j’ai commencé à m’occuper d’acteurs, en tant qu’assistant, mais le job ne m’a pas plu. En gros, tu as un scénario et tu dois remplir les cases: trouver un acteur pour chaque rôle. Je trouvais ça un peu simpliste. D’autant plus que je n’avais visiblement pas d’intuition puisque je me rappelle avoir lu le scénario du long métrage L’Espion qui m’a larguée, l’avoir déconseillé à ma
«Au début, j’ai vraiment galéré. J’ai dû perdre 10 kilos et je me voyais viré à la fin de l’année»
cliente tellement je trouvais ça mauvais alors que le projet s’est concrétisé et que le film a même rencontré un joli succès. C’est alors que je suis passé du côté des scénaristes et là, j’ai adoré; c’était créatif, j’aidais mes clients à développer leur scénario.
Vous avez même produit un court métrage nommé aux Oscars, «Please Hold»…
En 2019, je deviens manager. Je me retrouve avec mon bureau, un ordinateur, un téléphone… mais pas de client! Au début, j’ai vraiment galéré. Je paniquais. J’ai dû perdre 10 kilos et je me voyais déjà viré à la fin de l’année. Du coup, je me suis dit que je devais en profiter pour produire un film dans l’intervalle. Et là, je tombe sur le scénario de ce court, magnifique, écrit par une jeune scénariste, K. D. Davila. Avec mon petit ami, lui aussi dans le milieu, on décide alors de le produire et le film s’est retrouvé nommé aux Oscars. Ça m’a permis de rencontrer Guillermo del Toro, Steven Spielberg, et surtout de décrocher ma «green card»!
En tant que manager, vous pouvez donc également produire des films à côté?
En fait, je gère mon emploi du temps comme je le souhaite. Cette scénariste est aussi devenue ma cliente, donc Entertainment 360 s’y retrouve aussi. Au bureau, personne ne vient me dire comment gérer mes projets. Je peux signer un contrat avec un artiste comme je l’entends, sans demander la permission à personne. En gros, je suis mon propre patron. L’important, c’est que je rapporte suffisamment d’argent à la compagnie à la fin de l’année.
Vous avez dû vous prendre la grève des scénaristes de plein fouet. Comment l’avezvous vécue?
Hollywood a perdu une fortune dans l’affaire… On parle de 6 milliards de dollars! De notre côté, on a continué à travailler, mais au ralenti. Nos clients développaient leur scénario dans leur coin tout en faisant des piquets de grève et on en discutait ensemble. Mais l’atmosphère était très lourde. On gérait toute la journée des clients furieux, angoissés, qui n’étaient plus payés… Tout le monde était stressé. Alors qu’en face les studios affichaient un je-m’en-foutisme général déplorable. Beaucoup disaient qu’ils n’attendaient qu’une chose, que les acteurs commencent à perdre leur maison, avant de négocier ferme. C’était terrible.
Qu’est-ce que les négociations ont finalement changé pour l’industrie?
Acteurs et scénaristes ont notamment obtenu des hausses de salaire substantielles, mais aussi des bonus en cas de succès de diffusion sur les plateformes. Pour les studios, les coûts de production vont donc augmenter. Le problème, c’est que le boom du streaming arrive à son terme. Résultat: Hollywood va maintenant moins produire. Mais la ville a toujours connu des hauts et des bas et la profession a l’habitude de s’adapter. Après, les bonnes idées finissent toujours par trouver leur chemin vers les écrans.
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