Le Temps

La vie à bout de souffle

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Fable universell­e du Serbe Branimir Scepanovic,

«La Bouche pleine de terre» reparaît en poche

Un homme apprend qu’il est condamné par la maladie et fuit la clinique de Belgrade où il est soigné. Il décide de revenir dans les terres de son enfance, le Monténégro, pour y trouver un dernier refuge et mourir en paix. Alors que son train parti de Belgrade traverse les campagnes, la furieuse envie de tout abandonner et d’être seul lui vient: subitement, dans une petite gare, il descend d’un wagon.

Il déambule à travers champs, dans les ténèbres, laissant ses pas le conduire, jusqu’à perdre haleine: «Il ne savait ni où il était, ni où il irait, ni ce qu’il allait faire.» Le lendemain, il tombe nez à nez avec deux chasseurs. Contrarié dans son désir de solitude, il prend la fuite, c’est là que la redoutable mécanique de ce récit de 90 pages, concis mais très puissant, se met en branle. Vexés par l’attitude de cet homme qui a refusé de leur parler, les chasseurs se lancent à sa poursuite. Dans leur course folle, ils seront bientôt rejoints par des inconnus, de plus en plus nombreux, avec leurs motivation­s et leurs préjugés, accusant le fuyard d’avoir commis toutes sortes de délits.

Le récit, construit en alternance entre le point de vue du voyageur solitaire et de ses poursuivan­ts, passe du réalisme à l’absurde. La foule grossit, sa haine a trouvé une étincelle pour s’enflammer; on dirait que toute la tristesse, toute la rage humaine a découvert un responsabl­e, un bouc émissaire.

Le froissemen­t des fougères

L’inconnu laisse derrière lui une «large trace ondoyante dans le froissemen­t des fougères». Dans la lumière d’août, la nature est une splendeur, un mystère, et l’homme semble de plus en plus communier avec elle.

Dans l’urgence, alors que le temps lui est compté, il accède pour la première fois à une forme d’absolu. «Il pensa alors que tout n’était peut-être pas perdu: s’il vivait pleinement chacun des instants à venir comme s’il était le seul et le dernier, peut-être finirait-il par avoir l’impression d’avoir eu sa part de la vie.»

Une nouvelle aspiration le saisit: courir jusqu’à la mer, désir «violent, inexplicab­le», qui répond au désir «terrifiant et merveilleu­x» de ses poursuivan­ts, paysans armés de fourches, de faux et de bâtons, qui ont trouvé une raison de vivre et ne peuvent plus se passer de «lui».

Ce récit saisissant de 1974 est le plus beau et le plus célèbre du Serbe Branimir Scepanovic (1937-2020). Traduit en 1975 par les Editions de

L’Age d’Homme, à Lausanne, il avait fait sensation. Republié plusieurs fois, notamment dans le cadre des oeuvres complètes de Scepanovic chez Noir sur Blanc (Une Mer blanche et silencieus­e, 2021), c’est un plaisir de le voir aujourd’hui repris en poche. A lire et relire au pas de course. Julien Burri

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Auteur Branimir Scepanovic
Titre La Bouche pleine de terre
Traduction Du serbe par Jean Descat
Editions Libretto
Pages 90
Genre Roman Auteur Branimir Scepanovic Titre La Bouche pleine de terre Traduction Du serbe par Jean Descat Editions Libretto Pages 90

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