Le Temps

«L’Ile de la tentation», plus tentante du tout

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C’est un territoire exotique, cocotiers et infidélité, dont on avait collective­ment choisi d’oublier l’existence: L’Ile

de la tentation. Jeudi soir, l’émission de téléréalit­é française a fait son grand retour en prime time sur W9 – à part une incursion en 2019, elle n’avait plus réémergé depuis ses grands jours sur TF1 au début du millénaire. Sans surprise: de la Star Academy à Loft Story (qui aura bientôt sa propre série sur Prime Video), la tendance est à la nostalgie. Car c’est bien connu, c’est dans les vieux pots qu’on fait les meilleures soupes télévisuel­les.

D’ailleurs, vingt ans plus tard, le principe est identique: pour tester la solidité de leur engagement, cinq couples seront séparés durant douze jours, sur deux plages différente­s: les messieurs entourés de «tentatrice­s», ces dames de «tentateurs» – des personnes agréables à regarder et déterminée­s à les faire craquer. Alors, trompera, trompera pas? Ou comme le résume la présentatr­ice, l’ex-miss Delphine Wespiser – qui prononce ces mots avec la solennité d’un serment d’Hippocrate: «L’amour qui les unit aujourd’hui est-il un amour véritable, qui durera toute la vie?»

En voyant débouler les couples de cette dixième saison, on se dit que c’est mal parti – avant même l’arrivée au Mexique, la confiance est bancale, les reproches fusent («Tu vas être sage, hein!»). Mais c’est justement pour ça qu’on regarde: la fragilité est promesse de clash, le clash un moteur narratif imparable.

Comme en 2004, les ficelles sont aussi épaisses que les couches de poudre bronzante et la mise en scène, grotesque. Il faut voir les séductrice­s débarquer dissimulée­s sous des capes rouges en viscose, bande-son opératique à fond, en mode Da Vinci Code à Cancun. Les tissus tombent pour révéler des corps en bikini forcément parfaits dont les caméras scannent chaque centimètre. Chez les hommes, c’est fiesta de pectoraux tatoués et de recoiffage au ralenti. Ambiance de parodie. On réunit les candidats autour d’un feu de camp pour voir qui a allumé qui – vidéos à l’appui. Nouveauté: une cloche résonne à chaque fois que quelqu’un a fauté. La séduction façon Hunger Games.

Au-delà des ressorts éculés du genre, L’Ile de la tentation est une terre de clichés, une enclave du monde d’avant. Où les corps sont formatés et sexualisés, où les femmes pleurent de frustratio­n, où les hommes agissent en Don Juan compulsifs, en jaloux maladifs. En 2024, alors que les stéréotype­s de genre s’émoussent, que d’autres formes de relations émergent, L’Ile de la tentation est un enfer anachroniq­ue. Mais un éden d’audimat: en 2019, le premier épisode de la 9e saison rassemblai­t un demi-million de téléspecta­teurs. Hier comme aujourd’hui, voir d’autres que nous se déchirer est un divertisse­ment irrésistib­le... On songe à 2011, lorsque TF1 était condamné à indemniser 56 ex-candidats de l’émission, pour les avoir privés de contrats de travail. On se prend alors à espérer que les insulaires de 2024 soient, au moins, bien payés.

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