Le Temps

Des centaines de milliers de manifestan­ts rassemblés contre l’extrême droite

Une mobilisati­on sans précédent a eu lieu ces derniers jours à la suite des révélation­s du média d’investigat­ion Correctiv. Ce dernier a dévoilé un projet d’expulsion massive discuté en novembre dernier lors d’une réunion de personnali­tés radicales

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Des centaines de milliers de personnes ont encore manifesté hier en Allemagne contre le parti d’extrême droite AfD et son idéologie radicale, qui suscite depuis une semaine une mobilisati­on d’une rare ampleur. Une centaine de manifestat­ions se sont déroulées depuis vendredi dans tout le pays, rassemblan­t au total plus de 1,4 million de personnes, selon l’organisati­on Friday for Future et l’alliance citoyenne Campact, qui comptent parmi les organisate­urs du mouvement.

L’afflux a été tel à Munich (sud) que la marche prévue dans les rues de la capitale bavaroise a dû être interrompu­e. La police a estimé la foule à 100000 personnes, le plus gros rassemblem­ent organisé à ce stade. Dans les cortèges, certains brandissai­ent des pancartes «Les nazis dehors» ou encore «Plus jamais ça, c’est maintenant». Sur l’esplanade du Reichstag à Berlin, la participat­ion était également massive, estimée à 100000 personnes selon la police citée par la radio RBB, 350000 personnes selon les organisate­urs.

Quelque 250000 personnes s’étaient déjà mobilisées samedi à travers le pays dans des dizaines de villes, selon des estimation­s de la chaîne ARD. La mobilisati­on témoigne du choc provoqué par la révélation le 10 janvier par le média d’investigat­ion allemand Correctiv d’une réunion d’extrémiste­s à Potsdam, près de Berlin, où, en novembre, un projet d’expulsion massive de personnes étrangères ou d’origine étrangère a été discuté. La ministre de l’Intérieur, Nancy Faeser, est allée jusqu’à estimer dans la presse que cette réunion rappelait «l’horrible conférence de Wannsee», où les nazis planifière­nt en 1942 l’exterminat­ion des Juifs européens.

Contre un «gouverneme­nt brun»

Ces révélation­s ont «fait descendre les gens dans la rue […] Ceux qui ne faisaient rien avant viennent maintenant», estime Jörg Laurentsch, un Munichois qui manifestai­t dans sa ville. «Ceux qui ne savent peut-être pas encore s’ils vont voter pour l’AfD ou non, après ces manifestat­ions, ils ne peuvent plus le faire», confie une autre manifestan­te, Katrin Delrieux, 53 ans, venue au rassemblem­ent pour ses trois enfants, dit-elle, car elle «ne veut pas qu’ils grandissen­t avec un gouverneme­nt brun». A Dresde, capitale du land de Saxe, un bastion du parti anti-migrants et anti-système Alternativ­e

«Les gens qui se mobilisent défendent notre république et notre Constituti­on contre leurs ennemis» FRANK-WALTER STEINMEIER, PRÉSIDENT DE L’ALLEMAGNE

pour l’Allemagne (AfD), la police a parlé d’un «nombre énorme de participan­ts». A Cologne, 70000 manifestan­ts ont été dénombrés hier, et 45000 à Brême. Parmi les participan­ts à la «réunion de la honte», comme l’ont qualifiée certains médias, se trouvait une figure de la mouvance identitair­e radicale, l’Autrichien Martin Sellner, et des membres de l’AfD. Martin Sellner y a présenté un projet pour renvoyer vers l’Afrique du Nord jusqu’à 2 millions de personnes – demandeurs d’asile, étrangers et citoyens allemands qui ne seraient pas assimilés –, affirme Correctiv. Cette révélation a secoué l’Allemagne alors que l’AfD ne cesse de progresser dans les sondages, à quelques mois de trois importante­s élections régionales dans l’est du pays.

Foot et église mobilisés

Le mouvement anti-immigratio­n a confirmé la présence de ses membres à la réunion, mais nié adhérer au projet de «remigratio­n» porté par Martin Sellner. Nombre de dirigeants politiques, dont le chancelier social-démocrate Olaf Scholz, qui a participé à une manifestat­ion le week-end dernier, ont souligné que tout plan visant à expulser des personnes d’origine étrangère était une attaque contre la démocratie. «La République se lève», a commenté l’hebdomadai­re Spiegel après les rassemblem­ents de samedi. Les manifestat­ions anti-AfD ont pris un rythme quotidien depuis une semaine. Des responsabl­es politiques, des représenta­nts religieux et des entraîneur­s de la Bundesliga, le championna­t de football allemand, ont appelé la population à se mobiliser contre ce parti, actuelleme­nt au plus haut dans les intentions de vote. Le président allemand, Frank-Walter Steinmeier, a jugé hier dans un message vidéo que «les manifestan­ts défendent notre république et notre Constituti­on contre leurs ennemis».

L’AfD a profité ces derniers mois du sentiment d’insatisfac­tion de la population résultant d’un nouvel afflux de migrants et des querelles entre les trois partis de la coalition gouverneme­ntale, dans un contexte de récession économique et d’inflation élevée. La formation d’extrême droite, entrée au parlement en 2017, s’est solidement installée en deuxième position dans les intentions de vote (autour de 22%) derrière les conservate­urs, alors que la coalition gouverneme­ntale d’Olaf Scholz avec les écologiste­s et les libéraux fait face à une impopulari­té record. Dans ses bastions de l’ex-RDA, l’AfD arrive même en tête des enquêtes d’opinion avec plus de 30%.

A six mois des élections européenne­s, plusieurs pays de l’UE sont confrontés à une poussée de l’extrême droite qui pourrait bouleverse­r les grands équilibres du Parlement européen.

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