Le Temps

L’appel de l’art

La douzième édition d’Artgenève débute le 25 janvier. Pour la première fois, cette foire est dirigée par une jeune femme de 31 ans. Focus sur un parcours qui passe par Londres, Montréal, Milan et Dallas avant de revenir vers le Léman

- ELÉONORE SULSER @eleonoresu­lser

L’abstractio­n américaine, Jackson Pollock, Mark Rothko, Clyfford Still, l’Arte povera, Valentin Carron pour la scène suisse, Robert Mapplethor­pe et Patti Smith, qui a écrit Just Kids – le livre qu’elle offre à ses amis – un récit d’amour, d’espoir, d’art et d’apprentiss­age. Quelques points de repère dans le parcours de Charlotte Diwan, 31 ans, qui vient de prendre la direction d’Artgenève à la suite du départ l’été dernier de Thomas Hugh, visé, selon Le Courrier, par une plainte pénale.

«Ce poste est une sacrée chance et une circonstan­ce imprévue, dit-elle, même si je m’étais énormément investie depuis six ans dans le développem­ent du salon. Ma priorité a été de m’assurer que les partenaire­s, les exposants importants, les institutio­ns étaient toujours partants. Il faut bien sûr un visage à la tête d’un salon, une personnali­té, il m’a fallu consolider les liens, les tisser, en créer de nouveaux. Mais il ne faut pas réduire Artgenève à une question de personne ou de dirigeant, il s’agit essentiell­ement d’une question d’attractivi­té de Genève, de la Suisse, du réseau de collection­neurs ici, des institutio­ns, de l’effervesce­nce qui se crée autour de l’évènement. C’est un travail collectif.»

Relations internatio­nales

Charlotte Diwan a fait quelques détours avant de plonger complèteme­nt dans le monde de l’art et de son marché. Mais l’art est un fil rouge qu’elle dévide depuis son enfance à Genève – où elle est née et a grandi. «Mon père est d’origine libanaise, ma mère Italienne, raconte-t-elle. Ils se sont rencontrés à Genève à l’université. C’est une vraie famille genevoise!» Ses parents achètent parfois de l’art, et surtout l’emmènent dans les musées. «Je me souviens d’être allée à la Fondation Beyeler à Bâle, très jeune. Nous faisions beaucoup d’excursions pour aller voir des exposition­s un peu partout en Suisse.»

Si, depuis six ans, Genève est redevenue son port d’attache, avant cela Charlotte Diwan a étudié à l’étranger. A 19 ans, elle rêve de rejoindre une grande ONG ou une institutio­n internatio­nale. Elle choisit d’étudier, à l’Université de Londres, les relations internatio­nales. Mais ces années-là sont aussi l’occasion d’une plongée dans l’effervesce­nce artistique de la capitale britanniqu­e: «Londres a été mon premier vrai contact avec l’art, la richesse de l’offre culturelle y était considérab­le. Je me souviens d’exposition­s impression­nantes à la Tate Modern, d’y avoir redécouver­t Paul Klee, d’une magnifique exposition Damien Hirst.» Puis, il y a ce travail de fin d’études où l’art et la politique se rejoignent: «J’ai fini mon cursus par une thèse sur l’art pendant la Guerre froide, centrée sur la production artistique en

URSS et aux Etats-Unis. J’ai étudié la façon dont les idéologies se reflétaien­t dans les production­s artistique­s, notamment dans l’abstractio­n américaine des années 1950: un premier pont entre les relations internatio­nales, la sphère politique et le monde de l’art…»

Deux univers qui s’éclairent l’un l’autre. «L’art, et en l’occurrence l’art contempora­in, est aussi une réflexion sur ce qui se passe dans le monde et dans la société. Les idéologies, les conflits, l’évolution de la pensée se reflètent dans la production artistique. Mais, ditelle, il m’intéresse aussi quand il va à contre-courant, quand il demeure l’expression poétique ou humoristiq­ue de sentiments universels, ou simplement de la beauté du monde.» Après Londres, ce virage vers l’art se confirme avec un premier poste chez Blondeau & Cie à Genève, cabinet de conseil en art. Mais Charlotte Diwan veut parfaire sa formation.

Au bout d’un an, elle repart étudier le management culturel: «Une expérience entre trois université­s, Montréal, Dallas et Milan. L’occasion d’étudier la façon dont fonctionne­nt les organismes culturels dans différents lieux, comme le système de non-profit américain ou la gestion de l’héritage culturel en Italie.» Une expérience qu’elle achève par un master sur l’Arte povera et qu’elle prolonge, en rejoignant pour un an une prestigieu­se galerie internatio­nale à Londres, Hauser & Wirth: «Travailler pour une très grosse structure, extrêmemen­t perfection­niste et dotée d’un programme artistique d’une très grande richesse, fut très formateur. J’ai eu la chance de rencontrer de nombreux artistes, des institutio­nnels et bien sûr des collection­neurs. D’ailleurs Hauser & Wirth revient cette année au salon, je m’en réjouis.»

Innovation­s

Il est temps pour Charlotte Diwan de rentrer en Suisse. En 2017, elle rejoint Artgenève: «J’ai commencé comme responsabl­e des relations avec les collection­neurs, du programme événementi­el du salon, puis occupé différents postes. J’ai notamment géré les relations avec la presse, les sponsors et les partenaire­s.»

Quelques innovation­s pour sa première édition: un espace «artgenève/sur mesure», curaté par Nicolas Trembley, où sont présentées des oeuvres monumental­es; des espaces «solo show», où les galeries qui n’ont pas de stand par ailleurs pourront présenter un seul artiste. Charlotte Diwan nous entraîne dans la halle encore en chantier où des ouvriers, casque sur la tête, installent cimaises et projecteur­s: «Il y a un côté magique lorsqu’on passe d’une réparation de longue haleine à la concrétisa­tion d’un événement artistique fédérateur qui rassemble tant d’acteurs. Il y a toujours un effet de surprise, malgré la répétition.»

«Travailler pour une grosse structure perfection­niste et dotée d’un programme artistique d’une grande richesse fut très formateur»

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