Une grogne qui angoisse le gouvernement
Dans la foulée de mouvements similaires en Allemagne, les blocages dus aux agriculteurs se multiplient. Le Rassemblement national mise sur cette colère en vue des élections européennes
S’il est un sujet que le gouvernement français surveille comme le lait sur le feu, c’est bien la grogne des agriculteurs. Blocage d’une autoroute et incendie d’une montagne de paille à proximité de Toulouse, verrouillage d’une centrale nucléaire, explosion suspecte dans un bâtiment vide de la Direction régionale de l’environnement à Carcassonne… Depuis près d’une semaine, les paysans français manifestent, parfois durement, pour différentes raisons que l’on pourrait résumer par un ras-le-bol général d’une profession qui n’arrive plus à joindre les deux bouts.
Du gazole sur le feu
Les agriculteurs français se disent sous pression des charges et des normes environnementales que la France aurait tendance à «sur-transposer» par rapport à l’Union européenne. Sujet le plus chaud et le plus largement partagé dans les manifestations: l’augmentation de la fiscalité sur le gazole non routier (GNR). Les actions contre cette hausse et le Green Deal européen se multiplient d’ailleurs dans toute l’Europe sur fond d’inflation. Le soulèvement français est effectivement à placer dans la continuité de mouvements similaires et spectaculaires en Allemagne, aux Pays-Bas, en Roumanie ou en Pologne.
La situation française est d’autant plus sensible que le Rassemblement national semble avoir décidé de surfer sur cette colère en vue des élections européennes de juin. Le président du parti et tête de liste pour ce scrutin, Jordan Bardella, a par exemple affirmé samedi: «L’Europe de Macron veut la mort de notre agriculture.» La communication du RN ajoute même que ces agriculteurs «incarnent cette France qui ne veut pas mourir, qui ne veut pas se laisser effacer et qui est attachée à ses campagnes».
De la gauche radicale à la droite traditionnelle, on soutient également cette mobilisation. Même le patron du Parti communiste Fabien Roussel demande de ne pas augmenter la taxe sur le gazole non routier car les agriculteurs «n’ont pas d’autre choix que d’en utiliser».
Le tout nouveau premier ministre français Gabriel Attal et son ministre de l’Agriculture Marc Fesneau ont donc décidé dans l’urgence de rencontrer lundi soir des syndicalistes dont Arnaud Rousseau, le président de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), le plus grand syndicat d’agriculteurs du pays, qui a promis que les actions dureraient encore toute la semaine. «Le premier ministre a partagé ce diagnostic d’une situation sans équivalent», a-t-il affirmé à la sortie du rendez-vous. Il a cependant ajouté que les agriculteurs attendraient des «actes précis» dans les prochains jours pour cesser leurs actions.
Dimanche, Marc Fresneau avait d’ores et déjà annoncé repousser une nouvelle fois les débats sur sa loi agriculture, censée favoriser le renouvellement des générations d’exploitants. Contesté par les syndicats pour son manque d’ambition sur la protection de la rémunération des agriculteurs, ce texte – ainsi que d’autres aussi en cours de conception – devrait se voir enrichi de «simplifications drastiques des normes», selon le Ministère de l’agriculture et… Bruno Le Maire, ministre de l’Economie. Car c’est tout le gouvernement qui est mobilisé pour rassurer les agriculteurs.
En mai 2023, Emmanuel Macron avait déjà appelé à une «pause réglementaire européenne» sur les normes écologiques pour s’assurer que celles déjà adoptées soient vraiment appliquées et ne pas «perdre» les acteurs économiques avec de nouvelles réglementations. L’argument visait particulièrement les industriels, mais les agriculteurs pouvaient aussi y voir leur intérêt. La déclaration avait par contre provoqué la colère des écologistes. En ce début d’année, lors de sa grande conférence de presse de rentrée, le président en a remis une couche en affirmant, encore plus largement, concernant toute l’économie: «La France doit produire davantage. Pour cela, nous devrons mettre fin aux normes inutiles.»
«L’Europe de Macron veut la mort de notre agriculture»
JORDAN BARDELLA, PRÉSIDENT DU RASSEMBLEMENT NATIONAL
Plus encore que les concessions annoncées, c’est la souplesse de la police française qui surprend, elle que l’on a connue plus prompte à l’action. «Aucune évacuation des blocages par les forces de l’ordre n’est prévue à ce stade car il n’y a pas de dégradations», a assuré ce lundi le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin. «On n’envoie pas les CRS sur des gens qui souffrent», a ajouté auprès de l’AFP l’entourage du ministre.
La tension est telle que, pour décrire une possible amplification de ce mouvement, les médias français commencent à utiliser l’expression «Gilets verts», en référence aux Gilets jaunes qui avaient fait vaciller le pouvoir en 2019. Une perspective qui ne réjouit pas le gouvernement avec les JO de Paris à l’horizon, on s’en doute… ■