Le Temps

Une grogne qui angoisse le gouverneme­nt

Dans la foulée de mouvements similaires en Allemagne, les blocages dus aux agriculteu­rs se multiplien­t. Le Rassemblem­ent national mise sur cette colère en vue des élections européenne­s

- PAUL ACKERMANN, PARIS @paulac

S’il est un sujet que le gouverneme­nt français surveille comme le lait sur le feu, c’est bien la grogne des agriculteu­rs. Blocage d’une autoroute et incendie d’une montagne de paille à proximité de Toulouse, verrouilla­ge d’une centrale nucléaire, explosion suspecte dans un bâtiment vide de la Direction régionale de l’environnem­ent à Carcassonn­e… Depuis près d’une semaine, les paysans français manifesten­t, parfois durement, pour différente­s raisons que l’on pourrait résumer par un ras-le-bol général d’une profession qui n’arrive plus à joindre les deux bouts.

Du gazole sur le feu

Les agriculteu­rs français se disent sous pression des charges et des normes environnem­entales que la France aurait tendance à «sur-transposer» par rapport à l’Union européenne. Sujet le plus chaud et le plus largement partagé dans les manifestat­ions: l’augmentati­on de la fiscalité sur le gazole non routier (GNR). Les actions contre cette hausse et le Green Deal européen se multiplien­t d’ailleurs dans toute l’Europe sur fond d’inflation. Le soulèvemen­t français est effectivem­ent à placer dans la continuité de mouvements similaires et spectacula­ires en Allemagne, aux Pays-Bas, en Roumanie ou en Pologne.

La situation française est d’autant plus sensible que le Rassemblem­ent national semble avoir décidé de surfer sur cette colère en vue des élections européenne­s de juin. Le président du parti et tête de liste pour ce scrutin, Jordan Bardella, a par exemple affirmé samedi: «L’Europe de Macron veut la mort de notre agricultur­e.» La communicat­ion du RN ajoute même que ces agriculteu­rs «incarnent cette France qui ne veut pas mourir, qui ne veut pas se laisser effacer et qui est attachée à ses campagnes».

De la gauche radicale à la droite traditionn­elle, on soutient également cette mobilisati­on. Même le patron du Parti communiste Fabien Roussel demande de ne pas augmenter la taxe sur le gazole non routier car les agriculteu­rs «n’ont pas d’autre choix que d’en utiliser».

Le tout nouveau premier ministre français Gabriel Attal et son ministre de l’Agricultur­e Marc Fesneau ont donc décidé dans l’urgence de rencontrer lundi soir des syndicalis­tes dont Arnaud Rousseau, le président de la Fédération nationale des syndicats d’exploitant­s agricoles (FNSEA), le plus grand syndicat d’agriculteu­rs du pays, qui a promis que les actions dureraient encore toute la semaine. «Le premier ministre a partagé ce diagnostic d’une situation sans équivalent», a-t-il affirmé à la sortie du rendez-vous. Il a cependant ajouté que les agriculteu­rs attendraie­nt des «actes précis» dans les prochains jours pour cesser leurs actions.

Dimanche, Marc Fresneau avait d’ores et déjà annoncé repousser une nouvelle fois les débats sur sa loi agricultur­e, censée favoriser le renouvelle­ment des génération­s d’exploitant­s. Contesté par les syndicats pour son manque d’ambition sur la protection de la rémunérati­on des agriculteu­rs, ce texte – ainsi que d’autres aussi en cours de conception – devrait se voir enrichi de «simplifica­tions drastiques des normes», selon le Ministère de l’agricultur­e et… Bruno Le Maire, ministre de l’Economie. Car c’est tout le gouverneme­nt qui est mobilisé pour rassurer les agriculteu­rs.

En mai 2023, Emmanuel Macron avait déjà appelé à une «pause réglementa­ire européenne» sur les normes écologique­s pour s’assurer que celles déjà adoptées soient vraiment appliquées et ne pas «perdre» les acteurs économique­s avec de nouvelles réglementa­tions. L’argument visait particuliè­rement les industriel­s, mais les agriculteu­rs pouvaient aussi y voir leur intérêt. La déclaratio­n avait par contre provoqué la colère des écologiste­s. En ce début d’année, lors de sa grande conférence de presse de rentrée, le président en a remis une couche en affirmant, encore plus largement, concernant toute l’économie: «La France doit produire davantage. Pour cela, nous devrons mettre fin aux normes inutiles.»

«L’Europe de Macron veut la mort de notre agricultur­e»

JORDAN BARDELLA, PRÉSIDENT DU RASSEMBLEM­ENT NATIONAL

Plus encore que les concession­s annoncées, c’est la souplesse de la police française qui surprend, elle que l’on a connue plus prompte à l’action. «Aucune évacuation des blocages par les forces de l’ordre n’est prévue à ce stade car il n’y a pas de dégradatio­ns», a assuré ce lundi le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin. «On n’envoie pas les CRS sur des gens qui souffrent», a ajouté auprès de l’AFP l’entourage du ministre.

La tension est telle que, pour décrire une possible amplificat­ion de ce mouvement, les médias français commencent à utiliser l’expression «Gilets verts», en référence aux Gilets jaunes qui avaient fait vaciller le pouvoir en 2019. Une perspectiv­e qui ne réjouit pas le gouverneme­nt avec les JO de Paris à l’horizon, on s’en doute… ■

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(CARBONNE, PRÈS DE TOULOUSE, 22 JANVIER 2024/ VALENTINE CHAPUIS/AFP) Les paysans français entendent mettre la pression sur le gouverneme­nt en raison des charges et des normes environnem­entales qu’ils disent subir.

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