«Il ne faut pas suivre l’AfD sur son terrain»
La persévérance de la population, qui a manifesté en masse contre le parti d’extrême droite, pourrait influencer le résultat des élections de septembre, explique le sociologue Fabian Virchow
En Allemagne, l’indignation ne retombe pas autour du projet de l’AfD de «remigrer» des millions de personnes étrangères et d’origine étrangère. L’idée a suscité une protestation populaire inattendue. Dimanche, 250000 personnes ont défilé contre l’extrême droite à Munich et 100000 à Berlin. Le pays n’avait pas connu de telles manifestations contre l’extrême droite depuis des décennies, explique Fabian Virchow, sociologue et directeur du pôle de recherche sur l’extrémisme de droite et le néonazisme à l’Ecole supérieure de Düsseldorf.
En quoi les protestations du weekend dernier sont-elles exceptionnelles? Elles rappellent les manifestations de 1992-1993 contre les violences racistes. Ce week-end, beaucoup de gens n’avaient jamais défilé contre l’extrême droite, mais les projets de déportation de l’AfD et d’autres mouvements extrémistes ont créé une telle indignation qu’ils sont descendus dans la rue. Certains vont s’arrêter là, et il semble improbable que les manifestations tiennent pendant des mois, mais il sera intéressant de voir si un mouvement se crée. Les organisateurs vont certainement chercher à se coordonner pour élaborer une campagne sur le long terme à l’approche des élections [européennes en juin, régionales dans les lands de Thuringe, Saxe et Brandebourg en septembre, ndlr].
L’AfD existe depuis dix ans. Le grand public n’avait jusque-là pas conscience du péril que ce parti représente? Une grande proportion des membres du parti ne vont pas se laisser impressionner, et certains vont se montrer plus prudents. L’AfD espère que l’ambiance s’apaiser. Les manifestations pourraient toutefois avoir un impact sur certains électeurs qui se rendront compte que leur vote soutient un parti préconisant des expulsions par millions, bien qu’ils estiment que le vote pour l’AfD devrait envoyer un message critique au gouvernement. Leur réaction dépendra beaucoup de l’ampleur et la durée de la mobilisation contre l’AfD.
Quel sera l’impact de la mobilisation anti-AfD sur ce parti? Une grande proportion des membres du parti ne vont pas se laisser impressionner, et certains vont se montrer plus prudents. L’AfD espère que l’ambiance s’apaisera. Les manifestations pourraient toutefois avoir un impact sur certains électeurs, qui se rendront compte que leur vote soutient un parti préconisant des expulsions par millions, bien qu’ils estiment que le vote en faveur de l’AfD devrait envoyer un message critique au gouvernement. Leur réaction dépendra beaucoup de l’ampleur et de la durée de la mobilisation contre l’AfD.
En dehors des manifestations, comment lutter contre l’extrême droite? Il est important d’expliquer le véritable caractère de l’AfD: son racisme, son antisémitisme. Au quotidien, la société civile a une mission: elle doit s’opposer aux propos racistes partout où c’est possible. Se pose aussi la question d’une procédure d’interdiction: aurait-elle un sens? La discussion va gagner en puissance.
Si l’on bannit l’AfD, ne risque-t-on pas de faire son jeu en la victimisant? Tout dépend de la manière dont la procédure est menée. C’est un processus long, lors duquel l’AfD se fera certainement passer pour une victime. Elle dispose des personnes et des ressources pour le faire. Mais je suis persuadé que l’on peut s’y préparer. Il faut voir cela comme un tout: parler d’une interdiction, tout en s’opposant clairement à l’AfD, au quotidien. Si l’on y associe une politique intelligente, il est possible que certains électeurs s’éloignent de ce parti.
«On a besoin d’un discours qui fasse de l’immigration une opportunité» FABIAN VIRCHOW, SOCIOLOGUE
Le gouvernement d’Olaf Scholz est très impopulaire. A-t-il les moyens d’agir? La question est très délicate. Il faut regarder le long terme. L’insatisfaction des électeurs de l’AfD est le résultat d’années de frustration, de résignation et de perte de confiance envers les partis démocratiques. Cela ne peut changer, à moyen terme, que si les politiciens écoutent les gens sans être opportunistes. On sait par exemple que là où règne l’insécurité économique, on est plus ouvert à l’AfD. Il faut donc une vraie politique sociale: les partis politiques doivent trouver des solutions à l’insatisfaction qui pousse à voter pour ce parti. Sur la question migratoire aussi, on a besoin d’un discours qui fasse de l’immigration non un problème, mais une opportunité économique et démocratique. Il faut être offensif et ne pas suivre l’AfD sur son terrain! ■