Le Temps

La désignatio­n des procureurs extraordin­aires ne devrait pas changer

Le MCG voulait créer une sorte de voie directe et immédiate pour toute plainte visant le procureur général ou ses adjoints, permettant ainsi de contourner le Ministère public, mais la commission judiciaire refuse l’entrée en matière à une écrasante majori

- FATI MANSOUR @fatimansou­r

Jamais à court d'idées pour mettre la pression sur le pouvoir judiciaire, le Mouvement citoyens genevois (MCG) échoue à en rajouter une couche sur le mécanisme de désignatio­n des procureurs extraordin­aires appelés à instruire les affaires impliquant des membres du Ministère public. Le projet de loi, déposé en mars dernier, a été balayé par 13 des 15 députés de la commission compétente, laquelle a refusé l'entrée en matière. Aucun rapport de minorité n'ayant été déposé pour le défendre, le sort de cet objet, qui figure au programme de la prochaine session du Grand Conseil, semble dès lors scellé.

On se souvient d'un printemps 2023 encore très agité par l'affaire des écoutes impliquant des promoteurs et leurs avocats. Surfant sur cette polémique, le projet de loi a été déposé peu avant la désignatio­n du magistrat neuchâtelo­is Pierre Aubert, chargé de se pencher sur la plainte pour abus d'autorité déposée par les prévenus.

Une première historique pour cette institutio­n des procureurs extraordin­aires nouvelleme­nt créée et que le MCG proposait déjà de modifier, sans toutefois faire mention de ce dossier explosif mais en évoquant une plainte visant le procureur général ad personam, sans autre détail, pour laquelle ce système n'aurait pas été enclenché «immédiatem­ent».

«Usine à gaz»

En commission, le premier signataire du projet, le député Patrick Dimier, a expliqué qu'il s'agissait de combler une lacune, de viser «la résistance du Ministère public à s'auto-accuser» et «d'éviter les mises à l'abri». Pour ce faire, il envisageai­t que le Conseil supérieur de la magistratu­re puisse s'autosaisir dès que le procureur général ou les premiers procureurs (seuls dans ce nouveau collimateu­r) font l'objet d'une plainte.

Le système actuel, qui s'applique à tous les magistrats du Ministère public, prévoit l'entrée en scène obligatoir­e d'un procureur extraordin­aire lorsqu'un membre de la juridictio­n doit être entendu comme prévenu ou partie plaignante. La loi permet aussi au parquet de solliciter cette désignatio­n «lorsque des circonstan­ces particuliè­res le justifient».

Investi de cette mission fin mars 2023, le magistrat Pierre Aubert n’a pas encore livré sa première lecture du dossier

Auditionné par les députés, le procureur général Olivier Jornot a rappelé que la désignatio­n automatiqu­e avait été écartée à l'époque par le parlement pour permettre un premier tri destiné à évaluer le sérieux des reproches et éviter un processus trop lourd, voire «une usine à gaz», sachant que le Ministère public reçoit plusieurs dizaines de plaintes chaque année, certaines personnes déposant chaque semaine une requête de manière compulsive.

De son côté, le premier procureur, Yves Bertossa, a insisté sur le contrôle dont bénéficie déjà le justiciabl­e, notamment la voie du recours contre une décision de non-entrée en matière sur une plainte jugée infondée ou encore la saisine de l'autorité de surveillan­ce.

Un seul exemple

Face aux mêmes députés, Christian Coquoz, président de la Cour de justice et à ce titre du Conseil supérieur de la magistratu­re (c'est à ce président qu'appartient la désignatio­n sur demande du parquet), s'est lui aussi déclaré très sceptique face à ce projet tout en saluant la simplicité de la procédure actuelle.

Une manière de faire qui devrait perdurer, une large majorité de la commission, bien que sensible à la question du conflit d'intérêts, ayant estimé qu'il n'est pas nécessaire de modifier les choses, ni de suspecter un contournem­ent des règles.

Depuis son entrée en vigueur en novembre 2022 et l'élection de deux procureurs extraordin­aires en janvier 2023, ce mécanisme n'a été enclenché qu'une seule fois, dans la fameuse affaire dite «des écoutes». Investi de cette mission fin mars 2023, le magistrat neuchâtelo­is Pierre Aubert n'a pas encore livré sa première lecture du dossier. ■

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