Accusé d’instigation à l’abus sexuel
Le Ministère public a requis 8 ans de prison contre un jeune homme accusé d’avoir, via une application de live chat, poussé des femmes en Asie à commettre des actes sexuels sur leurs propres enfants. Dans cette affaire singulière, le prévenu a toujours ni
Sa voix est douce, presque inaudible. P. a 24 ans mais a encore des allures de frêle adolescent. Son air juvénile tranche avec l’abjection des faits qui sont reprochés à ce jeune homme dont le procès s’est ouvert hier devant le Tribunal criminel de l’arrondissement de La Côte à Nyon. Entre janvier 2020 et juin 2021, via une application de live chat, il serait entré en contact avec un grand nombre de femmes à l’étranger, principalement aux Philippines. Depuis sa chambre d’un petit village vaudois, il les aurait incitées, contre rémunération financière, à perpétrer devant la caméra des actes d’ordre sexuel sur leurs propres enfants.
La lecture des douze pages de l’acte d’accusation est pesante. Aujourd’hui, P. est notamment prévenu d’actes d’ordre sexuel avec des enfants, d’actes d’ordre sexuel sur une personne incapable de discernement ou de résistance, d’instigation à actes d’ordre sexuel avec des enfants et d’exhibitionnisme. Les délits n’auraient pas tous été effectués par écrans interposés. En juin 2021, lors d’un barbecue familial, le prévenu aurait ainsi emmené à l’écart la filleule de son père, âgée de 4 ans et demi. Il aurait alors montré à la fillette son pénis, avant de lui toucher le sexe et les fesses. Celle-ci raconte finalement tout à sa mère, qui dénonce le cas.
Neuf cas retenus
Le point de départ est tristement classique. La suite l’est nettement moins. Lorsque le téléphone portable de P. est saisi, la police découvre l’ampleur des agissements présumés. Sur une application, à plusieurs reprises, le jeune homme aurait demandé à ses interlocutrices si elles avaient des enfants. Dans l’affirmative, il leur proposait de lui montrer le sexe de ceux-ci en échange d’un «cadeau». Contre un «cadeau supplémentaire», il va convaincre plusieurs d’entre elles de commettre des actes sexuels sur leur fille ou leur garçon. A d’autres reprises, il se masturbe devant la caméra en voulant être regardé par les enfants. Dans un cas, il s’agit d’un bébé.
Au total, neuf conversations sont recensées par l’acte d’accusation. Ces faits, le prévenu s’est évertué à les nier tout au long de l’audience. Les attouchements sur la filleule de son père? Une vengeance familiale. Les vidéos où il demande des faveurs sexuelles avec des enfants? Il ne les a jamais vues, prétextant que son compte a été hacké. Il peinera néanmoins à s’expliquer, confronté aux doutes du président du tribunal Aurélien Michel qui se demande comment P. a pu ne rien remarquer sur ses factures de téléphonie (près de 10 000 francs au total ont été dépensés sur l’application). Face aux questions, le jeune homme baisse la voix. «Je ne vous entends et ne vous comprends pas», finira par lâcher le juge.
Au fil des débats, Aurélien Michel s’étonne encore de l’attitude du jeune homme (détenu en préventive à la prison de la Croisée): «Je n’ai jamais vu un prévenu avoir aussi peu de réactions face à des accusations d’une telle gravité.» Un «calme incroyable» et une «froideur» dénoncés par Albert Habib, avocat de la partie plaignante. Ce manque d’émotions, il le met en balance avec un sentiment de toute-puissance. «On se sent fort derrière son ordinateur quand, exploitant la détresse humaine, on arrive avec un ou deux dollars à convaincre une mère de sucer son petit garçon», a-t-il lancé de manière volontairement provocatrice.
Culpabilité «écrasante»
«Je n’ai jamais vu un prévenu avoir aussi peu de réactions face à des accusations d’une telle gravité»
AURÉLIEN MICHEL, PRÉSIDENT DU TRIBUNAL CRIMINEL DE LA CÔTE
Pour le Ministère public, il «ne fait pas l’ombre d’un doute» que P. s’est rendu coupable de ces agissements, ceux-ci ayant pris fin au moment de son arrestation. «La théorie d’un hacker est ainsi mise à mal», souligne le procureur Xavier Christe. A ses yeux, la culpabilité du jeune Vaudois est «écrasante». «Le prévenu a agi pour satisfaire ses pulsions sexuelles, traitant ses jeunes victimes comme des objets déshumanisés», poursuit le Ministère public. Soulignant la durée et la répétition des délits, il a requis 8 ans de prison, assortis d’une interdiction à vie de toute activité professionnelle en lien avec des mineurs.
De son côté, Dario Barbosa, l’avocat de P., a plaidé l’acquittement pour l’ensemble des charges. Insistant sur la présomption d’innocence et notant que son client avait toujours nié que des enfants aient été mêlés à ses conversations sur l’application, il a regretté une «enquête boiteuse». Il a appuyé sur les contradictions entre la police et le Ministère public quant à l’interprétation des messages ou encore le fait, inhabituel dans ce genre d’affaire, que pas une seule image ou vidéo pédopornographique n’ait été trouvée dans les supports informatiques saisis. En fin d’audience, le prévenu n’a fait aucune déclaration. Le verdict est attendu pour vendredi matin. ■