Le Temps

Mobiliser la Chine et l’Inde pour une Pax Helvetica en Ukraine?

- FRANÇOIS NORDMANN ANCIEN DIPLOMATE, CHRONIQUEU­R

La visite de M. Ignazio Cassis, conseiller fédéral, chef du Départemen­t des affaires étrangères, en Chine et en Inde le mois prochain, ne saurait avoir pour seul objet la tenue de la conférence sur la formule de paix ukrainienn­e annoncée au Lohn et à Davos. Mais arrêtons-nous à ce point de l’ordre du jour. Dans le contexte de cette conférence, le DFAE souhaitera­it demander à ces deux pays d’intervenir auprès de la Fédération de Russie pour faire avancer la cause de la paix.

Au départ, l’analyse du conflit à Beijing et la Nouvelle Delhi diverge considérab­lement d’avec la nôtre. La Chine, alliée «sans limites» de la Russie, est attachée à des notions telles que le respect de l’intégrité territoria­le et de la souveraine­té des Etats. Dans l’affaire ukrainienn­e, elle accepte toutefois la version russe selon laquelle l’Occident aurait provoqué la Russie, et ne serait pas entrée en matière sur les propositio­ns russes de 2021 relatives à la sécurité en Europe: de la sorte, elle préserve une influence certaine à Moscou, tout en battant froid à l’Ukraine avec laquelle elle entretient des relations diplomatiq­ues. Et la Suisse ne serait pas la première à solliciter Beijing d’oeuvrer discrèteme­nt en vue de modérer le belligéran­t russe: les Américains, les Français s’y sont employés de leur côté l’an dernier.

La diplomatie chinoise s’est déployée d’ellemême pour faire valoir à son partenaire la nécessité d’éviter tout recours à l’arme nucléaire dans le conflit avec l’Ukraine: cette exigence a été exprimée publiqueme­nt par Xi Jinping lui-même l’an dernier. Cependant, la Chine était représenté­e à la troisième session de la réunion des conseiller­s à la sécurité nationale qui s’est déroulée à Djeddah l’automne dernier, sans doute pour faire un geste envers le prince Mohammed ben Salmane qui accueillai­t la session, davantage que par intérêt pour le fond de la question.

Il est cependant douteux que le pays veuille participer à une conférence récusée par la Russie. Le 24 février 2023, la Chine a publié un plan de paix pour l’Ukraine en 12 paragraphe­s, paraphrasa­nt pour la plupart la Charte des Nations Unies, mais comportant la demande de mettre fin aux sanctions (dirigées contre la Russie). Sans doute Wang Yi, ministre chinois des Affaires étrangères, s’appuiera-t-il sur ce document dont il est l’un des principaux auteurs pour répondre à M. Cassis. La Suisse pourrait-elle s’inspirer de quelques-unes des propositio­ns chinoises pour définir la portée de la conférence qu’elle entend convoquer? Le peut-elle, alors que le gouverneme­nt ukrainien a rejeté d’emblée les propositio­ns chinoises?

L’Inde a une position différente sur le conflit ukrainien, typique de la neutralité qu’affichent la plupart des pays du Sud. C’est à ses yeux une querelle d’Européens, qui se poursuit au détriment des pays en développem­ent, par là même privés de fonds pour lutter contre les effets du changement climatique, contre la pauvreté ou pour promouvoir la coopératio­n au développem­ent. Le ministre, M. Subrahmany­am Jaishankar s’efforce de maintenir un équilibre entre les liens traditionn­els de son pays avec la Russie et la recherche de solutions diplomatiq­ues avec les pays occidentau­x. Il considère que le conflit est de nature complexe et qu’il faut tenir compte de l’évolution des trente dernières années pour bien l’appréhende­r. La Suisse devra démontrer que les violations du droit internatio­nal commises par la Russie dans sa guerre d’agression contre l’Ukraine concernent également l’Inde.

Face aux doléances des pays du Sud, mettant en cause l’hypocrisie des pays du Nord accusés d’appliquer la règle des deux poids, deux mesures, la Suisse rappellera qu’elle soutient l’élargissem­ent du Conseil de sécurité et l’octroi d’un statut permanent à l’Inde. S’agissant de la conférence sur l’Ukraine prônée par Berne, la réaction de ce pays pourrait être un brin plus encouragea­nte que celle de Beijing.

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