Mobiliser la Chine et l’Inde pour une Pax Helvetica en Ukraine?
La visite de M. Ignazio Cassis, conseiller fédéral, chef du Département des affaires étrangères, en Chine et en Inde le mois prochain, ne saurait avoir pour seul objet la tenue de la conférence sur la formule de paix ukrainienne annoncée au Lohn et à Davos. Mais arrêtons-nous à ce point de l’ordre du jour. Dans le contexte de cette conférence, le DFAE souhaiterait demander à ces deux pays d’intervenir auprès de la Fédération de Russie pour faire avancer la cause de la paix.
Au départ, l’analyse du conflit à Beijing et la Nouvelle Delhi diverge considérablement d’avec la nôtre. La Chine, alliée «sans limites» de la Russie, est attachée à des notions telles que le respect de l’intégrité territoriale et de la souveraineté des Etats. Dans l’affaire ukrainienne, elle accepte toutefois la version russe selon laquelle l’Occident aurait provoqué la Russie, et ne serait pas entrée en matière sur les propositions russes de 2021 relatives à la sécurité en Europe: de la sorte, elle préserve une influence certaine à Moscou, tout en battant froid à l’Ukraine avec laquelle elle entretient des relations diplomatiques. Et la Suisse ne serait pas la première à solliciter Beijing d’oeuvrer discrètement en vue de modérer le belligérant russe: les Américains, les Français s’y sont employés de leur côté l’an dernier.
La diplomatie chinoise s’est déployée d’ellemême pour faire valoir à son partenaire la nécessité d’éviter tout recours à l’arme nucléaire dans le conflit avec l’Ukraine: cette exigence a été exprimée publiquement par Xi Jinping lui-même l’an dernier. Cependant, la Chine était représentée à la troisième session de la réunion des conseillers à la sécurité nationale qui s’est déroulée à Djeddah l’automne dernier, sans doute pour faire un geste envers le prince Mohammed ben Salmane qui accueillait la session, davantage que par intérêt pour le fond de la question.
Il est cependant douteux que le pays veuille participer à une conférence récusée par la Russie. Le 24 février 2023, la Chine a publié un plan de paix pour l’Ukraine en 12 paragraphes, paraphrasant pour la plupart la Charte des Nations Unies, mais comportant la demande de mettre fin aux sanctions (dirigées contre la Russie). Sans doute Wang Yi, ministre chinois des Affaires étrangères, s’appuiera-t-il sur ce document dont il est l’un des principaux auteurs pour répondre à M. Cassis. La Suisse pourrait-elle s’inspirer de quelques-unes des propositions chinoises pour définir la portée de la conférence qu’elle entend convoquer? Le peut-elle, alors que le gouvernement ukrainien a rejeté d’emblée les propositions chinoises?
L’Inde a une position différente sur le conflit ukrainien, typique de la neutralité qu’affichent la plupart des pays du Sud. C’est à ses yeux une querelle d’Européens, qui se poursuit au détriment des pays en développement, par là même privés de fonds pour lutter contre les effets du changement climatique, contre la pauvreté ou pour promouvoir la coopération au développement. Le ministre, M. Subrahmanyam Jaishankar s’efforce de maintenir un équilibre entre les liens traditionnels de son pays avec la Russie et la recherche de solutions diplomatiques avec les pays occidentaux. Il considère que le conflit est de nature complexe et qu’il faut tenir compte de l’évolution des trente dernières années pour bien l’appréhender. La Suisse devra démontrer que les violations du droit international commises par la Russie dans sa guerre d’agression contre l’Ukraine concernent également l’Inde.
Face aux doléances des pays du Sud, mettant en cause l’hypocrisie des pays du Nord accusés d’appliquer la règle des deux poids, deux mesures, la Suisse rappellera qu’elle soutient l’élargissement du Conseil de sécurité et l’octroi d’un statut permanent à l’Inde. S’agissant de la conférence sur l’Ukraine prônée par Berne, la réaction de ce pays pourrait être un brin plus encourageante que celle de Beijing.
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