S’ennuyer pour se retrouver: le plaisir de la vacuité
«Je m’ennuie.» Cette phrase s’est raréfiée. Quand avons-nous éprouvé pour la dernière fois la lassitude totale? Quand avons-nous eu le temps de ne rien faire? Courir sans arrêt dans un monde en mouvement, rester furtif, comme le dirait Alain Damasio. Il semble y avoir toujours une to-do liste interminable, sans cesse des choses à faire, des messages auxquels répondre, des devoirs à accomplir, des mails à envoyer. Et encore. Quand viennent les idées si l’on n’a pas le temps de plonger dans les méandres de notre imaginaire?
Quelques minutes sous la douche, dix avant de s’endormir. Le matin, ce sont les collègues, à midi, les amis, le soir, la famille, à vingt et une heures, c’est la voisine en allant jeter le compost. Aujourd’hui, nous sommes constamment en présence de personnes différentes, d’images qui défilent, de mouvements et de sons. Mais quand avonsnous le temps de nous asseoir avec nousmêmes? Le psychiatre Serge Tisseron préfère parler de «disponibilité à soi» plutôt que d’ennui, soulignant ainsi l’importance de se libérer mentalement pour avoir un instant de réflexion personnelle. Comme s’asseoir par terre, dans un coin, et ne penser à rien.
Le chanteur Soprano chante notamment pour le Téléphone dans «Mon précieux». Il décrit la manière dont celui-ci s’est rendu un outil indispensable au divertissement et à la vie: «Je te partage ma vie, au lieu de la vivre/Tu me partages la vie des autres pour me divertir/Je ne regarde plus le ciel depuis que tu m’as pris/Mes yeux dans tes applis, baby.» Quand avons-nous dernièrement levé les yeux au ciel? Quand nous sommesnous divertis par nous-mêmes – sans rien? Réintégrons ces moments d’ennui dans notre routine quotidienne. Intégrons ces pauses, même brèves, pour favoriser la créativité et la contemplation. Planifions des plages horaires réservées à la réflexion personnelle, loin de toute distraction.
Ennuyons-nous. Accordons-nous dans le quotidien les moments banals du rien qui constituent l’essence de la créativité et de l’imaginaire, pour essayer de nous retrouver en nous-mêmes. ▅