Alephium, une blockchain suisse qui fait parler d’elle
Le volume d’échange quotidien de son jeton est passé de 50 000 francs à plus de 2 millions en trois mois. Un changement d’échelle soudain pour un projet qui se présente comme une alternative à Ethereum
C’est un projet qui a connu un véritable changement d’échelle en moins de trois mois. Alephium, une chaîne de blocs (blockchain) développée en partie en Suisse, connaît un succès grandissant. Le volume d’échange de son jeton, intitulé «alph», sur les plateformes d’achat et de vente de cryptomonnaies est ainsi passé de 50 000 francs à la mi-novembre 2023 à plus de 2 millions de francs à la mi-janvier 2024. L’équipe derrière le projet relativise toutefois ce succès. «L’intérêt peut redescendre aussi vite qu’il est monté», observe Maud Bannwart, cheffe des opérations.
La montée en puissance d’Alephium, qui emploie 14 personnes, ne relève néanmoins pas du hasard. Lancée publiquement en novembre 2021, cette blockchain a été pensée par Cheng Wang, un ingénieur issu de l’EPFL. Son but? Proposer une alternative au sein d’un écosystème crypto largement dominé par l’infrastructure d’Ethereum, la première blockchain dite «programmable», créée en 2015 par Vitalik Buterin. Maud Bannwart précise: «L’idée derrière Alephium, c’est de montrer qu’il est possible de faire des choix radicalement différents sur le plan technologique, tout en apportant plus de sécurité.»
Programmable
Revenons-en aux bases. Le succès d’Ethereum repose sur ses «contrats intelligents» (smart contracts). Ils permettent d’introduire une couche de programmation dans la blockchain, un livre de compte ouvert dont le contenu ne peut pas être modifié ou supprimé a posteriori. Une innovation qui a donné aux développeurs du monde un terrain de jeu pour expérimenter et inventer un système financier sur Ethereum.
La finance décentralisée (DeFi) s’appuie sur ces fameux contrats intelligents. Grâce à du code, donc des instructions, il est possible de se passer d’un intermédiaire pour exécuter des virements récurrents, de rémunérer des placements, de construire des bourses sans opérateur ou encore de créer des monnaies synthétiques stables (stablecoin), etc.
Le problème, c’est que cette proposition s’accompagne aussi de compromis, que ce soit sur le plan de la sécurité ou celui de la décentralisation. Ethereum a fait le choix de donner beaucoup d’espace aux développeurs pour exprimer leur créativité, observe Maud Bannwart. L’exemple contraire, c’est Bitcoin. Il s’agit d’une blockchain qui limite davantage l’inventivité par ses règles plus strictes, de manière à favoriser la sécurité et la décentralisation. «Ethereum et Bitcoin apportent tous deux des possibilités et des usages différents, chacune ayant leurs avantages et leurs inconvénients», analyse Maud Bannwart.
«Notre proposition de valeur, c’est d’offrir un environnement de développement flexible qui met l’accent sur la sécurité», explique Vladimir Moshnyager, responsable marketing d’Alephium. Car sur Ethereum, les piratages de contrats intelligents sont monnaie courante. Au total, ceux-ci ont même entraîné des pertes qui se comptent en milliards de dollars. Or, la quasi-totalité des projets de l’écosystème crypto s’appuie sur les briques technologiques développées sur Ethereum.
Maud Bannwart nuance: «Nous ne sommes pas là pour dire qu’Ethereum n’est pas à la hauteur. C’est la première blockchain programmable et elle a beaucoup apporté à l’écosystème. Nous pensons simplement que les évolutions technologiques offrent la possibilité de faire des choix différents.» Simplement, Alephium permet de conserver la souplesse pour les développeurs tout en offrant beaucoup plus de bande passante et de sécurité pour les utilisateurs, ajoute-t-elle.
Jusqu’ici, Alephium était restée dans l’ombre. Mais cela a drastiquement changé depuis le mois de novembre 2023. «C’est la conjonction de plusieurs facteurs qui nous a permis de susciter une plus grande curiosité», relate Maud Bannwart. D’abord, le réveil simultané du marché des cryptomonnaies. Bitcoin a vu le prix de son jeton prendre l’ascenseur. Celui d’Alephium en a fait autant mais dans des proportions plus importantes, passant de 18 centimes à environ 1,7 franc en l’espace de trois mois (avec un plus haut à 2,19 francs).
Depuis l’été, de nombreuses applications ont émergé qui augmentent l’utilité de la blockchain, puis le déploiement en novembre d’une mise à jour a permis une interopérabilité avec celle… d’Ethereum. Ce qui a rendu possible à son jeton natif de circuler sur Alephium, et vice-versa. Puis en décembre, la plateforme d’échange de cryptomonnaies Mexc a introduit le jeton d’Alephium parmi sa liste d’actifs numériques. Autant d’éléments qui ont facilité l’accès à Alephium et son écosystème, et donné un véritable coup d’accélérateur à la notoriété du projet.
La rançon d’un succès perçu
«Notre objectif est désormais d’attirer encore plus de développeurs pour qu’ils puissent créer des applications décentralisées sur Alephium» MAUD BANNWART, CHEFFE DES OPÉRATIONS D’ALEPHIUM
Si Maud Bannwart indique que l’équipe d’Alephium ne se préoccupe pas du prix auquel son jeton est échangé, elle reconnaît que ce soudain intérêt a eu des effets sur le projet. «Le rapport des gens à l’argent est parfois compliqué, regrette-t-elle. Certaines personnes s’imaginent que nous sommes riches et que notre objectif est atteint.» Ce changement d’échelle a poussé certains membres de l’équipe à prendre des mesures pour se protéger.
«Quand un utilisateur écrit sur le ton de la blague qu’il faut que Cheng ou moi fassions attention quand on sort de chez nous, ça fait réfléchir», grimace la cheffe des opérations. Pas de quoi freiner la passion qui anime l’équipe. «Notre objectif est désormais d’attirer encore plus de développeurs pour qu’ils puissent créer des applications décentralisées sur Alephium», indique Vladimir Moshnyager. Prochaine étape? Un hackathon en ligne aura lieu du 12 au 26 février. Les meilleurs projets seront récompensés par des prix d’une valeur totale de 50 000 dollars.
A terme, le rôle de l’équipe derrière Alephium a vocation à perdre en importance. «Aujourd’hui, c’est surtout nous qui apportons des évolutions à la blockchain, note Maud Bannwart. Mais peu à peu, les contributions seront beaucoup plus variées, comme c’est le cas sur d’autres infrastructures.»
Pour l’instant, le projet est constitué sous forme d’une société anonyme, enregistrée à Neuchâtel. Ce canton a été particulièrement accueillant pour de nombreux acteurs crypto, même si un certain raidissement se fait sentir depuis peu. «Nous avons bon espoir que la situation va s’apaiser, le lien avec l’écosystème crypto local est très précieux, et l’avenir y est prometteur», estime Vladimir Moshnyager.
■