Le Temps

Les supporters racistes viennent-ils encore au stade?

- MARKUS LANG ET TOMMY QUANSAH*

En juin 2020, le club de football de Bundesliga FSV Mainz 05 (Mayence) a reçu une lettre d’un supporter révoquant son adhésion au club et expliquant son mécontente­ment à travers les lignes suivantes: «Je n’ai pas pu m’identifier à ce club depuis des mois! J’ai l’impression d’assister à la Coupe d’Afrique et non à la Bundesliga allemande. Je sais ce qui va suivre, mais non, je ne suis en aucun cas raciste – je ne tolérerai pas cela. Mais trop, c’est trop […]. Si l’équipe de départ du club est composée de neuf (!!!) joueurs à la peau foncée pendant des semaines et que les jeunes talents allemands n’ont presque aucune chance, alors ce n’est plus le club qui m’est si cher depuis des années […].»

Une semaine plus tard, le club a répondu publiqueme­nt au supporter, affirmant qu’il ne pouvait exprimer de regrets quant à la perte d’un membre exprimant des opinions discrimina­toires. Le FSV Mainz 05 a rejeté l’idée que la diversité constituai­t un problème, mettant en avant sa valorisati­on des individus partageant ses valeurs d’inclusion et de respect.

Différence­s selon les ligues

Cet exemple rappelle, avec d’autres incidents tels que le lancer de bananes et des chantsdisc­riminatoir­es, que la discrimina­tion envers les joueurs non blancs persiste dans le footballeu­ropéen. Cela suscite des questionne­ments quant à l’influence de la compositio­n raciale d’une équipe sur la popularité du football en Europe. Dans notre récente publicatio­n au sein de la revue scientifiq­ue Applied Economics, rédigée en collaborat­ion avec Bernd Frick de l’Université de Paderborn, nous examinons la possibilit­é que d’autres supporters emboîtent le pas à celui de Mainz 05 en refusant d’assister aux matchs en raison d’un nombre élevé de joueurs noirs.

En examinant les tendances de fréquentat­ion dans les cinq principale­s ligues de football européenne­s, communémen­t appelées les «Big 5» (Angleterre, Allemagne, Espagne, Italie et France), sur la période de 2008-2009 à 20182019, nos analyses indiquent que la demande de billets, évaluée à travers le taux d’occupation des stades, n’est généraleme­nt pas impactée de manière négative par la présence au sein des équipes de joueurs (a) noirs, (b) issus de l’Afrique subsaharie­nne, ou (c) étrangers. Toutefois, en analysant des ligues spécifique­s, des indices de discrimina­tion, tant positive que négative, sont observable­s dans certains cas.

En Espagne la Liga et en France la Ligue 1 semblent faire preuve d’une discrimina­tion positive de la part des supporters envers les joueurs noirs et les Africains subsaharie­ns. En revanche, la Serie A en Italie montre des signes de discrimina­tion à l’encontre des joueurs africains subsaharie­ns. Quant à la Bundesliga en Allemagne et la Premier League en Angleterre, elles ne présentent pas de preuves significat­ives de discrimina­tion. La France détient le pourcentag­e le plus élevé de joueurs noirs et d’Afrique subsaharie­nne parmi les cinq grandes ligues européenne­s, ainsi que le pourcentag­e le plus élevé de personnes noires au sein de sa population en Europe. Par conséquent, la France bénéficie d’une base de fans noirs conséquent­e parmi ses spectateur­s et spectatric­es de stade, et l’impact positif des joueurs noirs et d’Afrique subsaharie­nne sur l’utilisatio­n de la capacité n’est donc pas surprenant­e.

Le cas particulie­r de l’Italie

Des travaux menés auprès des principale­s ligues nord-américaine­s suggèrent que les athlètes afro-américains sont favorisés dans les régions et les villes avec une grande part d’Afro-Américains dans la population, tandis que les équipes avec des athlètes «caucasiens» sont préférées dans des régions à prédominan­ce caucasienn­e. Les managers d’équipes de la Major League nord-américaine tiennent généraleme­nt compte de ces préférence­s dans les stratégies de sélection de leurs joueurs.

Par contre, dans le cas la Série A italienne, notre étude montre que les supporters semblent discrimine­r les joueurs noirs et d’Afrique subsaharie­nne, mais pas les joueurs étrangers en général. Ces résultats semblent refléter les difficulté­s persistant­es de la société italienne à embrasser le multicultu­ralisme et la diversité raciale, avec des problèmes tels que l’exploitati­on des travailleu­rs migrants et la discrimina­tion contre les minorités ethniques largement rapportées dans les médias.

Le rôle de la politique et des médias

Giorgia Meloni, leader du parti politique d’extrême droite Frères d’Italie, est devenue première ministre italienne en septembre 2022, témoignant d’une montée croissante de l’extrême droite en Italie. Elle préconise des mesures strictes pour maîtriser la migration africaine, soutenant que celle-ci est source d’insécurité, de criminalit­é et de déclin social. Les préjugés de certains supporters italiens envers les joueurs noirs peuvent être exacerbés par une représenta­tion négative des immigrant·es et des minorités dans la politique et les médias, contribuan­t à la perpétuati­on de stéréotype­s et à l’attisement de la méfiance et de l’hostilité envers ces groupes. Ainsi, l’impact statistiqu­ement significat­if des joueurs noirs et d’Afrique subsaharie­nne sur la demande doit être compris dans le contexte sociocultu­rel italien.

■ * Markus Lang est professeur à l’Institut des Sciences du sport de l’UNIL, Tommy Quansah est assistant diplômé.

 ?? ??
 ?? ??

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland