Raphaël Glucksmann, dernier Mohican de la gauche
C’est la nouvelle coqueluche d’un camp qui pensait avoir disparu du paysage politique français. Quel que soit le nom que l’on donne à cette tribu aux dimensions variables (social-démocratie, deuxième gauche, gauche réformiste, gauche de gouvernement ou gauche caviar), elle a été pour ainsi dire rayée du débat hexagonal ces dernières années. Mais en ce tout début de campagne pour les élections européennes, le centre gauche français se surprend à rêver en observant la popularité de l’intellectuel Raphaël Glucksmann.
L’eurodéputé du petit parti Place publique (groupe Socialistes & Démocrates au Parlement européen) mènera très probablement la liste du Parti socialiste lors de cette échéance du mois de juin. Et les sondages estiment une telle liste à 10% des voix, en troisième position derrière le Rassemblement national (30%) et le camp présidentiel (20%). Les socialistes pourraient même ainsi dépasser les écologistes et surtout La France insoumise.
De quoi faire oublier le 1,75% d’Anne Hidalgo au premier tour de l’élection présidentielle en 2022. Cet écroulement du PS semblait avoir définitivement mis fin à des années de domination socialiste et plus particulièrement sociale-démocrate sur la gauche, et provoqué l’alignement de ce camp derrière son aile la plus radicale, celle de Jean-Luc Mélenchon sous l’étiquette Nupes (Nouvelle union populaire, écologique et sociale). Union à laquelle Raphaël Glucksmann s’était tout de même soumis, sans pour autant renoncer à ses positions pro-européennes. Aujourd’hui, il préfère plutôt dire qu’entre Jean-Luc Mélenchon et lui, il y a «un gouffre».
Raphaël Glucksmann est l’ancien directeur du Nouveau Magazine Littéraire, le fils du philosophe star des années 1970-80 André Glucksmann et le compagnon de la journaliste vedette de France Télévision et de France Inter, Léa Salamé. Pur produit des grandes écoles parisiennes, ancien chroniqueur dans l’audiovisuel et réalisateur de documentaires sur les grandes causes internationales, il lui est arrivé de soutenir Nicolas Sarkozy et le libéralisme économique.
Résultat de cette popularité montante, de cette modération affichée et de ce background glamour, les couteaux sont tirés depuis ce week-end et la gauche française illustre une nouvelle fois sa tendance aux déchirements internes alors que lepénistes et macronistes se disputent les premières places.
Même si elle affirme ne pas vouloir participer à la «guerre des gauches», comme tous les autres intervenants du week-end, la tête de liste écologiste Marie Toussaint a qualifié Raphaël Glucksmann de «chouchou des médias». Et pour la tête de liste communiste, avec lui, «on est passé de la gauche caviar à la gauche dollar».
Mais l’attaque la plus remarquée est venue du très en vue François Ruffin, favori pour succéder à Jean-Luc Mélenchon à la tête de la gauche radicale. Ce député de la Somme, qui rappelle régulièrement son ancrage campagnard, a publié sur son blog une lettre ouverte à Raphaël Glucksmann. Dans ce texte au vitriol, il qualifie les propos de l’eurodéputé en campagne de «hors-sol, déconnectés, sans ancrage», signes «d’une élite qui avance, avec arrogance et inconscience», d’«un chemin inquiétant pour la gauche, même pour le centre gauche». Pour l’Insoumis, le discours de l’intellectuel chéri du centre gauche «est un grand bond en arrière, comme si les vingt dernières années n’avaient pas compté, comme si des secousses majeures, le «non» au référendum de 2005, le mouvement des Gilets jaunes, voire les manifestations contre la retraite Macron, n’avaient pas existé.»
On le voit, si par miracle il devait se faire, le retour de la social-démocratie française ne se fera pas sans dégâts. Et pendant ce temps, le centre droit et l’extrême droite pourront continuer à se disputer l’avenir du pouvoir sans véritable concurrence. ■