Qui sème les routes récolte le trafic
Imaginez… Imaginez que les autorités décident d’opérer un changement de cap significatif et investissent massivement dans les transports publics, rattrapant le retard de la Suisse romande en matière d’infrastructures. Imaginez de meilleures connexions entre les villes et villages, assurant de bonnes cadences en train ou en bus, ainsi que des itinéraires cyclables sécurisés. Imaginez une nouvelle ligne ferroviaire entre Genève et Lausanne, encourageant nombre de pendulaires à laisser la voiture au garage pour monter dans le train. Le résultat? Un report modal vers les transports publics avec d’importantes conséquences sur la qualité de vie. «Une circulation fluide, des villages retournés à la tranquillité, les abords des villes de Nyon, Genève et Gland privés d’embouteillages». Les lectrices et lecteurs du Temps ressentiront un léger déjà-vu dans cette dernière promesse. Ce sont les termes utilisés pour parler de l’élargissement des autoroutes dans une chronique publiée samedi 13 septembre dans ces pages.
L’alliance qui a déposé le référendum contre ces projets démesurés est dans ce texte réduite à une bande d’idéalistes rabat-joie. Pourtant, 100 000 signatures ont été rapidement collectées, le double des paraphes requis, ce qui atteste que beaucoup se questionnent sur la direction donnée à notre politique des transports et sur la pertinence de bétonner des terres agricoles et boisées.
Puisque nous avons la chance d’avoir l’EPFL à proximité, classée dans les meilleures écoles du monde, nous avons écouté ses experts en mobilité*. Ils sont formels: ajouter de nouvelles voies sur les autoroutes ne permettra pas de résoudre le problème des bouchons. Celui ou celle qui prétend qu’élargir le tuyau fluidifiera le débit routier se fourvoie, car la mobilité n’est pas une donnée figée. Au contraire, elle est évolutive, élastique, et donc impactée par nos activités et notre organisation. L’effet pervers de l’élargissement selon leurs dires: c’est qu’il ouvre encore plus le robinet. De l’Amérique du Nord à la Chine, en passant par la Suisse, nombre d’exemples illustrent le retour systématique des embouteillages à la suite de l’élargissement de tronçons d’autoroutes. C’est un cercle vicieux.
C’est dans l’attractivité des infrastructures les plus performantes et respectueuses de l’environnement qu’il faut investir pour agir sur la demande. Le référendum «contre la folie autoroutière» invite justement à reconsidérer les priorités en matière de politique fédérale des transports. Il ne s’agit nullement d’une attaque contre la voiture, dont la présence est notamment nécessaire dans les régions mal desservies par les transports publics, mais bien d’une lutte contre des extensions jugées inefficaces et trop coûteuses. Et d’une cohérence avec les politiques locales, qui visent à éloigner les voitures des centres urbains.
Même avec une, deux, dix voies supplémentaires, les autoroutes resteront limitées par leurs entrées et leurs sorties. Les voitures continueront de traverser les quartiers, les villages et les agglomérations pour les rejoindre, avec les conséquences que l’on connaît sur la qualité de vie de la population concernée: augmentation du bruit, dégradation de la qualité de l’air et de la sécurité.
La chronique s’étonne enfin que l’on puisse faire des questions climatiques «une raison de vivre». Cela nous laisse sans voix. Lorsque l’on investit dans des infrastructures qui favorisent les transports publics et la mobilité active, on place l’être humain au centre. C’est de notre capacité à préserver la richesse de nos écosystèmes, la qualité de notre air et la tranquillité de nos maisons que dépend justement notre (qualité de) vie, à toutes et tous. ■
Même avec une, deux, dix voies supplémentaires, les autoroutes resteront limitées par leurs entrées et leurs sorties