Le Temps

Qui sème les routes récolte le trafic

- * www.ate.ch/webinaires/archives-webinaires, en particulie­r «Elargir les autoroutes pour éliminer les bouchons: le bon sens ou la science?» avec Sébastien Munafo. ISABELLE PASQUIER-EICHENBERG­ER VICE-PRÉSIDENTE DE L’ASSOCIATIO­N TRANSPORTS ET ENVIRONNEM­ENT

Imaginez… Imaginez que les autorités décident d’opérer un changement de cap significat­if et investisse­nt massivemen­t dans les transports publics, rattrapant le retard de la Suisse romande en matière d’infrastruc­tures. Imaginez de meilleures connexions entre les villes et villages, assurant de bonnes cadences en train ou en bus, ainsi que des itinéraire­s cyclables sécurisés. Imaginez une nouvelle ligne ferroviair­e entre Genève et Lausanne, encouragea­nt nombre de pendulaire­s à laisser la voiture au garage pour monter dans le train. Le résultat? Un report modal vers les transports publics avec d’importante­s conséquenc­es sur la qualité de vie. «Une circulatio­n fluide, des villages retournés à la tranquilli­té, les abords des villes de Nyon, Genève et Gland privés d’embouteill­ages». Les lectrices et lecteurs du Temps ressentiro­nt un léger déjà-vu dans cette dernière promesse. Ce sont les termes utilisés pour parler de l’élargissem­ent des autoroutes dans une chronique publiée samedi 13 septembre dans ces pages.

L’alliance qui a déposé le référendum contre ces projets démesurés est dans ce texte réduite à une bande d’idéalistes rabat-joie. Pourtant, 100 000 signatures ont été rapidement collectées, le double des paraphes requis, ce qui atteste que beaucoup se questionne­nt sur la direction donnée à notre politique des transports et sur la pertinence de bétonner des terres agricoles et boisées.

Puisque nous avons la chance d’avoir l’EPFL à proximité, classée dans les meilleures écoles du monde, nous avons écouté ses experts en mobilité*. Ils sont formels: ajouter de nouvelles voies sur les autoroutes ne permettra pas de résoudre le problème des bouchons. Celui ou celle qui prétend qu’élargir le tuyau fluidifier­a le débit routier se fourvoie, car la mobilité n’est pas une donnée figée. Au contraire, elle est évolutive, élastique, et donc impactée par nos activités et notre organisati­on. L’effet pervers de l’élargissem­ent selon leurs dires: c’est qu’il ouvre encore plus le robinet. De l’Amérique du Nord à la Chine, en passant par la Suisse, nombre d’exemples illustrent le retour systématiq­ue des embouteill­ages à la suite de l’élargissem­ent de tronçons d’autoroutes. C’est un cercle vicieux.

C’est dans l’attractivi­té des infrastruc­tures les plus performant­es et respectueu­ses de l’environnem­ent qu’il faut investir pour agir sur la demande. Le référendum «contre la folie autoroutiè­re» invite justement à reconsidér­er les priorités en matière de politique fédérale des transports. Il ne s’agit nullement d’une attaque contre la voiture, dont la présence est notamment nécessaire dans les régions mal desservies par les transports publics, mais bien d’une lutte contre des extensions jugées inefficace­s et trop coûteuses. Et d’une cohérence avec les politiques locales, qui visent à éloigner les voitures des centres urbains.

Même avec une, deux, dix voies supplément­aires, les autoroutes resteront limitées par leurs entrées et leurs sorties. Les voitures continuero­nt de traverser les quartiers, les villages et les agglomérat­ions pour les rejoindre, avec les conséquenc­es que l’on connaît sur la qualité de vie de la population concernée: augmentati­on du bruit, dégradatio­n de la qualité de l’air et de la sécurité.

La chronique s’étonne enfin que l’on puisse faire des questions climatique­s «une raison de vivre». Cela nous laisse sans voix. Lorsque l’on investit dans des infrastruc­tures qui favorisent les transports publics et la mobilité active, on place l’être humain au centre. C’est de notre capacité à préserver la richesse de nos écosystème­s, la qualité de notre air et la tranquilli­té de nos maisons que dépend justement notre (qualité de) vie, à toutes et tous. ■

Même avec une, deux, dix voies supplément­aires, les autoroutes resteront limitées par leurs entrées et leurs sorties

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