En Iran, la double peine des avocats
Interdits de s’entretenir avec leurs clients et d’accéder aux dossiers, les défenseurs iraniens continuent de se battre pour un semblant de justice. A l’occasion de la Journée mondiale de l’avocat en danger, ils racontent un métier en péril
Lorsqu’elle sortait d’un tribunal révolutionnaire après une audience, Leila Alikarami pleurait. Dix ou quinze minutes tout au plus, assise devant l’entrée de la salle. «Je ne pouvais pas m’en empêcher, c’était la pression qui retombait mais aussi la frustration de ne pas pouvoir représenter correctement un client et puis la peur: les juges instauraient un climat de terreur. C’était les années les plus difficiles de ma vie.» Leila Alikarami, avocate iranienne et défenseuse des droits humains, a représenté plus de 50 femmes devant les juges religieux des tribunaux révolutionnaires. Avant, en 2009, d’accepter en leur nom le Prix Anna Politkovskaïa honorant les femmes dans des zones de conflits pour l’initiative «Un million de signatures», une campagne pour réformer la législation iranienne et mettre fin aux discriminations de genre. Petite, c’est pour ça que Leila Alikarami avait décidé de faire du droit: se battre contre ces lois injustes qui la «blessaient», qui la rendaient «folle».
En Iran, au lendemain de la Révolution islamique en 1979, 31 tribunaux révolutionnaires sont mis sur pied afin de juger en urgence les hauts responsables de la monarchie tout juste renversée.
Aujourd’hui, ces instances spéciales fonctionnent toujours en parallèle de la justice pénale. «Sécurité nationale» ou trafic de drogue, elles traitent de dossiers particulièrement sensibles pour la République islamique et prononcent la grande majorité des condamnations à mort. Opposants politiques ou militants des droits humains se succèdent devant des juges chargés de faire respecter la charia, sans avoir droit à une procédure équitable.
«Les procès sont totalement injustes. Les juges rendent des verdicts établis à l’avance et entérinent automatiquement les exécutions politiques. Ces pratiques inéquitables surviennent apparemment à toutes les étapes des procédures pénales», notait en 2017 la rapporteuse spéciale des Nations unies sur les droits de l’homme en Iran. Dans le pays, ces tribunaux spéciaux ne sont qu’une extension du pouvoir exécutif.
Après le temps des manifestations suivant la mort de Mahsa Amini, en septembre 2022, est venu celui de la répression, celui de juger ces milliers de jeunes femmes et hommes à peine majeurs qui ont fait trembler le régime. Beaucoup sont passés devant ces tribunaux révolutionnaires et au moins huit condamnés à la peine capitale ont été exécutés.
«Aujourd’hui, les autorités ouvrent de nouveaux dossiers contre quiconque manifeste une quelconque objection, détaille Leila Alikarami. Malgré tout, un nombre non négligeable de femmes continuent de se promener dans les rues sans respecter le code vestimentaire islamique. Elles sont systématiquement arrêtées.» La semaine dernière, la justice iranienne a annoncé son intention de poursuivre les deux journalistes qui avaient rendu publique la mort en détention de Mahsa Amini. Libérées contre caution après plus d’un an derrière les barreaux, Niloofar Hamedi, 31 ans, et Elaheh Mohammadi, 36 ans, sont apparues sans voile à leur sortie de la prison d’Evin, au nord de Téhéran.
Prêts à tout pour les défendre, les avocats iraniens sont devenus, eux aussi, victimes d’intimidations, de harcèlement et d’arrestations arbitraires. De retour de Strasbourg, où il avait accepté au nom de Mahsa Amini le Prix Sakharov à titre posthume, Saleh Nikbakht, l’avocat de sa famille qui avait porté plainte contre la police, a été arrêté et emprisonné à Téhéran pour «propagande». La récompense a été confisquée.
Accusés d’agir contre l’Etat
«Beaucoup d’avocats sont en prison et de nombreuses affaires sont en cours car ils sont accusés d’agir contre l’Etat ou de faire partie de «groupes illégaux», ajoute Leila Alikarami. Nous ne pouvons pas nous rendre à des conférences ou voyager de peur d’être arrêtés à notre retour ou radiés du barreau.» Un nombre croissant de réglementations contreviennent aux normes internationales. L’Association du barreau, une des plus anciennes organisations professionnelles du pays, fait face en permanence à des enquêtes.
A cela s’ajoute l’article 48 du Code de procédure pénale qui permet de limiter l’accès des avocats aux affaires politiques traitées par les tribunaux révolutionnaires, explique Leila Alikarami. «Les personnes arrêtées n’ont pas le droit de s’entretenir avec leur défenseur durant le temps de l’enquête et cette disposition est parfois adoptée pour l’ensemble du procès. Et il est très compliqué de préparer la défense: nous n’avons pas un accès complet au dossier et avons l’interdiction d’en faire une copie.»
Ce mercredi 24 janvier, les avocats iraniens sont au centre de la Journée mondiale de l’avocat en danger qui chaque année s’attarde sur le sort des juristes d’un pays en particulier. «En Iran, être avocat, c’est faire bien plus qu’exercer un travail. Il y a énormément de frustrations, mais chaque minuscule résultat est une immense victoire: je ne peux pas vous dire à quel point vous êtes heureux lorsque vous obtenez gain de cause. Lorsque vous avez l’impression de rappeler un système oppressif à la loi. Ou lorsque vous évitez à quelqu’un la peine capitale», souligne Leila Alikarami.
En Iran, 700 personnes ont été exécutées en 2023. Mardi 23 janvier, au petit matin, Mohammad Ghobadlou, accusé d’avoir tué un policier lors des manifestations de 2022 et condamné par un tribunal révolutionnaire, a été pendu. Il avait 23 ans. ■
«Pour les avocats iraniens, chaque minuscule résultat est une immense victoire»
LEILA ALIKARAMI, AVOCATE, DÉFENSEUSE DES DROITS HUMAINS