La Chine défend son bilan des droits humains devant l’ONU
Pékin a passé hier son Examen périodique universel devant le Conseil des droits de l’homme. Venue avec une impressionnante délégation, elle a cherché à éviter les critiques acerbes de la société civile
Le moment était très attendu. Un peu moins de deux ans après la publication d’un rapport explosif du Haut-Commissariat de l’ONU aux droits de l’homme sur le Xinjiang (rapport Bachelet), la Chine est passée mardi sous les fourches caudines du Conseil des droits de l’homme (CDH) dans le cadre de l’Examen périodique universel (EPU), un examen de la situation des droits humains effectué par les pairs dans chaque pays de l’ONU.
Conscient de l’importance de l’exercice, Pékin n’a pas lésiné sur les moyens pour s’y préparer. Sa délégation était forte de 60 personnes et une trentaine d’entre elles sont intervenues devant le CDH pour expliquer le bilan chinois. La Chine a aussi pris ses précautions pour éviter de se voir clouer au pilori. Elle a fait du lobbying auprès de nombreux Etats du Sud pour en obtenir des commentaires positifs. Elle a aussi dépêché plusieurs ONG, dont la United Nations Association of China et la Shaanxi Patriotic Volunteers Association, fortement soutenues par… le gouvernement.
Le Sud global applaudit
Chargée du plaidoyer et chercheuse à la Société pour les peuples menacés, Fanny Iona Morel était au Palais des Nations. Elle témoigne: «Plusieurs ONG critiques de Pékin n’ont pas pu entrer dans la salle du CDH.» Une situation peu surprenante. Comme le révélait la semaine dernière le Geneva Observer, la Mission de Chine auprès de l’ONU à Genève a exhorté les Nations unies à s’assurer qu’aucun «séparatiste anti-chinois» n’ait un accès à la salle du CDH. Fanny Iona Morel ajoute que les Tibétains, Ouïgours et Hongkongais qui manifestaient en petit nombre mardi sur la place des Nations à Genève «étaient surveillés par des agents chinois qui prenaient des photos. Un tel comportement en Suisse est totalement inacceptable.»
Pékin a pour sa part souligné les efforts entrepris pour promouvoir les droits humains. Dans le document national qu’il a fourni au CDH, il le souligne: «Le Ministère chinois des affaires étrangères a dirigé un groupe de travail interministériel spécial comprenant 29 organes législatifs, judiciaires et administratifs. Quarante organisations non gouvernementales et établissements universitaires ont été consultés.» Fustigé pour la répression de la minorité ouïgoure dans le Xinjiang, notamment dans le cadre du rapport Bachelet qui mentionne de possibles crimes contre l’humanité commis dans cette province du nord-ouest de la Chine, Pékin a défendu sa vision des droits humains qu’il entend décliner à la «façon chinoise». Au cours de l’EPU, elle a insisté sur les progrès accomplis pour extraire des centaines de millions de personnes de l’extrême pauvreté. Elle le souligne: «La Chine […] a fait avancer de manière historique les droits de l’homme dans le pays. Elle a […] construit une société modérément prospère dans tous les domaines et remédié au problème de la pauvreté absolue de façon historique.»
Au sein de la salle du CDH, une écrasante majorité des pays dits «du Sud global» ont félicité les avancées de Pékin. Chaque Etat n’ayant que quarante-cinq secondes à disposition pour commenter la prestation de la Chine, les voix critiques sont surtout venues des pays du Nord. La mention de possible «génocide» par l’ambassadrice des Etats-Unis Michèle Taylor a mis le feu aux poudres, forçant la délégation chinoise à riposter contre la «désinformation» américaine. La Suisse, qui vient d’accueillir le premier ministre chinois Li Qiang à Berne, a appelé Pékin à «mettre en oeuvre les recommandations du Haut-Commissariat des droits de l’homme établies dans son rapport de 2022 sur le Xinjiang et de mener une enquête sur l’ampleur des détentions arbitraires susceptibles de constituer des crimes contre l’humanité.»
Fin du silence
Directrice du plaidoyer au Congrès mondial des Ouïgours, Zumretay Arkin ne mâche pas ses mots: «Nous sommes très déçus par l’attitude des pays du Sud global, en particulier les Etats membres de l’OCI (Organisation de la coopération islamique) qui nous laissent tomber.» En conférence de presse, Lhadon Tethong, de Tibet Action Institute, voit néanmoins dans l’EPU de la Chine des raisons de se réjouir: «Je crois que nous sommes à un tournant. Jamais le Tibet n’a été autant mentionné par les Etats dans leurs recommandations à Pékin. C’est important car la Chine a réussi, depuis 2009, à supprimer la thématique de l’agenda international.» La militante se félicite de constater que six pays ont exhorté Pékin à abolir un système «colonialiste» d’internats destinés aux enfants tibétains et visant à siniser cette minorité ethnique.
Absent de l’EPU, le haut-commissaire de l’ONU aux droits de l’homme, Volker Türk, est lui aussi sous les feux des critiques. Si Michelle Bachelet, qui l’avait précédé à ce poste difficile, avait donné l’impression de céder aux pressions de Pékin avant de finalement publier, à la dernière minute de son mandat, un rapport critique, mais équilibré sur le Xinjiang, le comportement de l’Autrichien interroge: «Le haut-commissaire avait une occasion de réparer les dommages causés par Bachelet. Il a pour l’heure échoué à assurer un vrai suivi du rapport», déplore Lhadon Tethong.
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