Moscou interpellé sur les enfants ukrainiens
Le Comité des droits de l’enfant a demandé hier à Genève des explications à la Russie sur le sort de milliers de petits Ukrainiens emmenés de force dans les territoires occupés, pratique qui pourrait s’apparenter à des crimes de guerre
«La Russie n’a pas participé à l’expulsion de citoyens ukrainiens.» Hier à Genève, Alexey Vovchenko, vice-ministre russe du Travail et de la Protection sociale, a nié une nouvelle fois les accusations de transfert illégal d’enfants ukrainiens des zones occupées vers son territoire, alors que la pression monte sur Moscou. Le vice-ministre russe, à la tête d’une délégation de 30 fonctionnaires du Kremlin, a déclaré aux experts que si quelque 3000 enfants avaient été «évacués» des orphelinats et centres de soins des républiques populaires autoproclamées de Lougansk et de Donetsk, c’était en réalité pour les protéger des hostilités, accusant les autorités ukrainiennes de n’avoir pas pris soin d’eux. Mais la commission, peu convaincue, a exigé davantage d’explications sur des pratiques contraires au droit international et à la Convention relative aux droits de l’enfant, à laquelle la Russie adhère depuis 1990.
Des prétendus camps de vacances
Le sort des petits Ukrainiens placés dans des centres et des familles en Russie et en Biélorussie a fait l’objet de nombreux rapports en 2023. Dans les zones contrôlées par le Kremlin près de la ligne de front, ils sont exposés à la propagande russe, voire reçoivent une formation militaire dans des prétendus camps de vacances, selon une étude du Laboratoire de recherche humanitaire de l’Ecole de santé publique de Yale. Impossible pour leurs familles de les récupérer, même lorsque les forces ukrainiennes reconquièrent certains territoires.
Depuis le début de l’année 2022, Kiev estime que près de 20 000 enfants ont été déplacés. Certains auraient été déchus de leur nationalité pour devenir Russes et être adoptés par des familles, ce que Moscou dément. Le gouvernement ukrainien affirme disposer d’informations sur 386 cas de ce type et accuse la Russie de chercher à rompre les liens de ces jeunes avec leur identité. Pour avoir supervisé ces déportations illégales, la commissaire russe aux Droits de l’enfant, Maria Lvova-Belova, fait l’objet d’un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale (CPI), au même titre que le président russe, Vladimir Poutine.
Des transferts de force? Des adoptions? Hier à Genève, le vice-ministre russe a tout nié en bloc, affirmant que la tutelle imposée aux enfants ukrainiens n’était que temporaire. Alexey Vovchenko a été jusqu’à évoquer une simple erreur d’interprétation linguistique. La riposte de Velina Todorova, l’une des 18 expertes de l’organe soutenu par les Nations unies, ne s’est pas fait attendre: «Je peux vous assurer que nous comprenons la différence entre adoption et tutelle», a-t-elle lancé.
Autre forte inquiétude: le décret présidentiel russe pris au début du mois qui permet d’accélérer l’octroi de la citoyenneté aux enfants ukrainiens dits orphelins ou privés de soins parentaux. Il s’agit d’un «changement d’identité des enfants, qui n’est autorisé ni par les Conventions de Genève sur le droit humanitaire, ni par notre convention», a déclaré Velina Todorova.
L’enjeu du retour des mineurs a également été évoqué hier à Genève. La partie russe a évoqué le chiffre de 43 à 48 enfants rendus à leurs familles par le Ministère du travail et de la protection sociale, affirmant que 5000 autres demandes étaient en cours d’évaluation. Le processus, coordonné avec l’Ukraine et la Russie, prend en charge les frais de voyage, affirmait le vice-ministre russe Alexey Vovchenko.
Poursuivre le processus de réunification
Kiev affirme disposer d’informations sur des enfants déchus de leur nationalité pour devenir Russes
L’Ukraine affirme de son côté n’avoir pu rapatrier que 400 petits avec l’aide d’ONG. «Nous avons entendu de nombreux parents raconter comment ils ont essayé de reprendre contact avec leurs enfants et les obstacles qu’ils ont rencontrés. Les autorités russes ont mis en place des embûches considérables», a déploré Rachel Denber, directrice adjointe de la division Europe et Asie centrale de Human Rights Watch, à Geneva Solutions.
Le Comité des droits de l’enfant n’a certes aucun moyen de faire appliquer les recommandations qu’il émettra d’ici au 2 février à l’intention de la Russie à l’issue de l’examen. Mais la séquence d’hier est «significative», soutient Rachel Denber, notamment parce qu’elle «permet au grand public de comprendre en quoi les actes commis par la Russie sont illégaux et pervers». La directrice de relever qu’«il est crucial de poursuivre le processus de réunification des enfants ukrainiens avec leurs familles», même s’il est encore difficile de savoir en quoi les conclusions peuvent contribuer aux enquêtes de la Cour pénale internationale sur les déportations.
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