Le Temps

Moscou interpellé sur les enfants ukrainiens

Le Comité des droits de l’enfant a demandé hier à Genève des explicatio­ns à la Russie sur le sort de milliers de petits Ukrainiens emmenés de force dans les territoire­s occupés, pratique qui pourrait s’apparenter à des crimes de guerre

- MICHELLE LANGRAND (GENEVA SOLUTIONS)

«La Russie n’a pas participé à l’expulsion de citoyens ukrainiens.» Hier à Genève, Alexey Vovchenko, vice-ministre russe du Travail et de la Protection sociale, a nié une nouvelle fois les accusation­s de transfert illégal d’enfants ukrainiens des zones occupées vers son territoire, alors que la pression monte sur Moscou. Le vice-ministre russe, à la tête d’une délégation de 30 fonctionna­ires du Kremlin, a déclaré aux experts que si quelque 3000 enfants avaient été «évacués» des orphelinat­s et centres de soins des république­s populaires autoprocla­mées de Lougansk et de Donetsk, c’était en réalité pour les protéger des hostilités, accusant les autorités ukrainienn­es de n’avoir pas pris soin d’eux. Mais la commission, peu convaincue, a exigé davantage d’explicatio­ns sur des pratiques contraires au droit internatio­nal et à la Convention relative aux droits de l’enfant, à laquelle la Russie adhère depuis 1990.

Des prétendus camps de vacances

Le sort des petits Ukrainiens placés dans des centres et des familles en Russie et en Biélorussi­e a fait l’objet de nombreux rapports en 2023. Dans les zones contrôlées par le Kremlin près de la ligne de front, ils sont exposés à la propagande russe, voire reçoivent une formation militaire dans des prétendus camps de vacances, selon une étude du Laboratoir­e de recherche humanitair­e de l’Ecole de santé publique de Yale. Impossible pour leurs familles de les récupérer, même lorsque les forces ukrainienn­es reconquièr­ent certains territoire­s.

Depuis le début de l’année 2022, Kiev estime que près de 20 000 enfants ont été déplacés. Certains auraient été déchus de leur nationalit­é pour devenir Russes et être adoptés par des familles, ce que Moscou dément. Le gouverneme­nt ukrainien affirme disposer d’informatio­ns sur 386 cas de ce type et accuse la Russie de chercher à rompre les liens de ces jeunes avec leur identité. Pour avoir supervisé ces déportatio­ns illégales, la commissair­e russe aux Droits de l’enfant, Maria Lvova-Belova, fait l’objet d’un mandat d’arrêt de la Cour pénale internatio­nale (CPI), au même titre que le président russe, Vladimir Poutine.

Des transferts de force? Des adoptions? Hier à Genève, le vice-ministre russe a tout nié en bloc, affirmant que la tutelle imposée aux enfants ukrainiens n’était que temporaire. Alexey Vovchenko a été jusqu’à évoquer une simple erreur d’interpréta­tion linguistiq­ue. La riposte de Velina Todorova, l’une des 18 expertes de l’organe soutenu par les Nations unies, ne s’est pas fait attendre: «Je peux vous assurer que nous comprenons la différence entre adoption et tutelle», a-t-elle lancé.

Autre forte inquiétude: le décret présidenti­el russe pris au début du mois qui permet d’accélérer l’octroi de la citoyennet­é aux enfants ukrainiens dits orphelins ou privés de soins parentaux. Il s’agit d’un «changement d’identité des enfants, qui n’est autorisé ni par les Convention­s de Genève sur le droit humanitair­e, ni par notre convention», a déclaré Velina Todorova.

L’enjeu du retour des mineurs a également été évoqué hier à Genève. La partie russe a évoqué le chiffre de 43 à 48 enfants rendus à leurs familles par le Ministère du travail et de la protection sociale, affirmant que 5000 autres demandes étaient en cours d’évaluation. Le processus, coordonné avec l’Ukraine et la Russie, prend en charge les frais de voyage, affirmait le vice-ministre russe Alexey Vovchenko.

Poursuivre le processus de réunificat­ion

Kiev affirme disposer d’informatio­ns sur des enfants déchus de leur nationalit­é pour devenir Russes

L’Ukraine affirme de son côté n’avoir pu rapatrier que 400 petits avec l’aide d’ONG. «Nous avons entendu de nombreux parents raconter comment ils ont essayé de reprendre contact avec leurs enfants et les obstacles qu’ils ont rencontrés. Les autorités russes ont mis en place des embûches considérab­les», a déploré Rachel Denber, directrice adjointe de la division Europe et Asie centrale de Human Rights Watch, à Geneva Solutions.

Le Comité des droits de l’enfant n’a certes aucun moyen de faire appliquer les recommanda­tions qu’il émettra d’ici au 2 février à l’intention de la Russie à l’issue de l’examen. Mais la séquence d’hier est «significat­ive», soutient Rachel Denber, notamment parce qu’elle «permet au grand public de comprendre en quoi les actes commis par la Russie sont illégaux et pervers». La directrice de relever qu’«il est crucial de poursuivre le processus de réunificat­ion des enfants ukrainiens avec leurs familles», même s’il est encore difficile de savoir en quoi les conclusion­s peuvent contribuer aux enquêtes de la Cour pénale internatio­nale sur les déportatio­ns.

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