A Genève, des objectifs climatiques «inatteignables» sans doubler le budget
RÉCHAUFFEMENT Le Conseil pour le climat a rendu hier un rapport sévère sur la stratégie du canton. Il demande aux politiciens de «lever tous les obstacles à la mise en oeuvre du plan»
Le plan climat cantonal, lancé en grande pompe en juin 2021, serait-il d'ores et déjà obsolète? Le Conseil d'Etat genevois avait pourtant des objectifs ambitieux: réduire de 60% par personne les émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2030 et atteindre la neutralité carbone en 2050. Et ainsi se conformer à l'Accord de Paris. Trois ans plus tard, le Conseil pour le climat, lancé par l'exécutif pour créer «un laboratoire d'idées» en marge de la réalisation du plan climat, en balaie les objectifs phares, «inatteignables en l'état». Il a expliqué pourquoi hier devant la presse.
Ses 13 membres sont des représentants des milieux culturels, médiatiques, économiques et associatifs. «Le plan climat est ambitieux mais perfectible», commence Sophie Swaton, présidente de l'instance. «Les moyens alloués au plan climat et la vitesse de sa mise en oeuvre ne lui permettent pas d'atteindre ses objectifs», constatent unanimement les participants.
Représentant la Fédération des entreprises romandes, Caritas, Pro Natura ou encore AgriGenève, les membres du Conseil ont décortiqué le plan cantonal et l'avant-projet de loi sur le climat, enterré en décembre dernier par la Commission de l'environnement et de l'agriculture. «Nous jugeons cette décision politique malheureuse», commente Marion Lanci, gréviste du climat. Le rapport veut interpeller les politiciens: l'instance consultative leur demande de «lever tous les obstacles à la mise en oeuvre du plan climat cantonal». «Cette phrase s'adresse au Grand Conseil et aux milieux patronaux. Nous les appelons à soutenir des solutions praticables», souligne Pierre Veya, chef de la rubrique Economie au sein de Tamedia, renvoyant aux 13 recommandations dont a accouché le Conseil pour le climat au terme de deux ans de travaux.
De nombreuses propositions concernent la gouvernance: on trouve la constitution d'un conseil scientifique intercantonal, chargé d'informer les politiciens et d'évaluer l'efficacité des mesures grâce à des indicateurs. Le conseil demande également de créer une «commission de l'urgence climatique et de la transition écologique et sociale» au sein du Grand Conseil, pour accélérer les procédures parlementaires habituelles, et de former des «députés experts». L'instance souhaiterait aussi que la Cour des comptes intègre les enjeux climatiques lors de ses évaluations de politiques publiques.
Le rapport contient encore un volet «justice sociale et climatique», avec par exemple le versement d'un salaire aux étudiants ou aux employés en reconversion professionnelle vers des emplois verts. Pour les travailleurs, l'institution de mesures de protection de la santé au travail en cas de vagues de chaleur ou de grand froid est demandée.
L’argent, nerf de la guerre
«Nous appelons les milieux patronaux et le Grand Conseil à soutenir des solutions praticables» PIERRE VEYA, CHEF DE LA RUBRIQUE ÉCONOMIE AU SEIN DE TAMEDIA
Mais ces mesures nécessitent de l'argent. Pour le canton de Genève, le budget d'investissement pour la transition climatique s'élève à 5,6 milliards de francs pour la période 2021-2030. «Insuffisant pour les efforts conséquents à fournir», selon le Conseil pour le climat, qui cite une étude de l'Association suisse des banquiers: elle estime à 2% du PIB le montant nécessaire pour réaliser la transition écologique au niveau national. Appliqué au canton de Genève, il faudrait donc investir le double, soit environ 10 milliards pour une période de dix ans, calcule Manuela Cattani, de la Communauté genevoise d'action syndicale.
Interrogé sur les sources de financement, le Conseil pour le climat est emprunté: «Le canton peut-il se le permettre et quelle serait la source des financements? Ces questions doivent être tranchées par le politique», élude le banquier Patrick Odier. «Le gouvernement compte répondre à ces questions et présentera ce printemps de nouvelles propositions concrètes, indique le magistrat Antonio Hodgers, chargé du Département du territoire. Le Conseil d'Etat est tout à fait disposé à accélérer la transition climatique, poursuit-il. Mais les bâtons dans les roues sont nombreux, en particulier ceux du parlement.»
■