Le Temps

«Tu seras ingénieur en IA, mon enfant»

Les conditions se sont (légèrement) détériorée­s cet automne sur le marché de l’emploi. Le déséquilib­re entre l’offre et la demande reste problémati­que, notamment dans le numérique et la santé

- ALINE BASSIN @bassinalin­e

En apparence, rien ne bouge. En décembre, 106 859 personnes étaient inscrites auprès d’un Office régional de placement en Suisse, soit 8848 de plus qu’un mois auparavant. De quoi faire remonter le taux de chômage de 2,1% à 2,3%, mais pas de provoquer une agitation particuliè­re dans les chaumières. Même si en respectant les critères de l’Organisati­on internatio­nale du travail, le bilan est un peu moins rose – 4,2% au troisième trimestre selon les derniers chiffres à dispositio­n –, jamais la Suisse n’a connu des niveaux de chômage si bas depuis trente ans.

Pourtant, les milieux économique­s commencent à parler de «récession» lorsqu’il s’agit de qualifier le fléchissem­ent conjonctur­el que l’industrie suisse est en train d’endurer. Déjà mise à mal par l’impact des rapides hausses de taux d’intérêt en Europe et aux Etats-Unis, elle a dû faire face en deuxième partie d’année à une tout aussi rapide appréciati­on du franc dont elle se serait volontiers passée. Comme l’a rappelé mardi le cabinet Von Rundstedt dans son baromètre de l’emploi 2023, les restructur­ations ont augmenté l’an dernier. Des annonces vite oubliées dans un marché de l’emploi marqué par une forte pénurie de «talents».

Vieillisse­ment de la population et changement technologi­que

Après deux années caractéris­ées par un déséquilib­re historique entre l’offre et la demande de forces de travail, l’année 2024 pourrait voir une légère détente pour les entreprise­s qui peinent tant à recruter. Si ce n’est que la pression démographi­que va rester défavorabl­e en raison des nombreux départs à la retraite et, surtout, que les profils risquent fort de ne pas correspond­re aux besoins des employeurs tant les problèmes structurel­s restent, eux, complèteme­nt d’actualité. Dit de manière caricatura­le, la Suisse forme trop de sociologue­s ou de biologiste­s et pas assez d’infirmiers ou d’informatic­iennes. Les profession­s de la santé et du numérique présentent en effet toujours un déficit chronique, alors que c’est là que les besoins croissent, pour des raisons de vieillisse­ment de la population d’un côté, de changement de paradigme technologi­que de l’autre.

On envisage désormais de recruter du personnel hospitalie­r en Asie

Comment résoudre ce problème régulièrem­ent pointé comme la préoccupat­ion numéro un par les entreprise­s? En tombant dans le déterminis­me profession­nel? Traditionn­ellement, comme le rappelait il y a peu le directeur de l’institut KOF dans Le Temps, la Suisse a toujours préféré compter sur l’immigratio­n pour combler ses besoins de main-d’oeuvre. Mais comme c’est aussi la foire d’empoigne dans ses bassins historique­s de recrutemen­t, elle risque de devoir aller toujours plus loin. On envisage désormais de recruter du personnel hospitalie­r en Asie.

Quoi qu’il en soit, avec les craintes et la résistance que suscite la pression migratoire dans le pays, les recettes du passé pourraient bien ne pas fonctionne­r, ce qui doit pousser les milieux de la formation à se montrer innovants et audacieux. Un défi qui va nécessiter une étroite collaborat­ion entre l’Etat et les entreprise­s.

Qu’on apprécie ou pas le personnage, l’Ecole 42, créée par le milliardai­re français Xavier Niel pour former des informatic­iens et des informatic­iennes indépendam­ment de leur parcours scolaire, représente ainsi une initiative extrêmemen­t intéressan­te. Tout comme, dans un tout autre registre, les efforts déployés ces dernières années par le canton de Genève pour améliorer l’«employabil­ité» de sa population sont à saluer.

Grâce à un programme lancé il y a quatre ans, les personnes qui remplissen­t des critères définis sont soutenues pour se reconverti­r. Si la mesure est encore trop peu utilisée, il est intéressan­t de constater que, en quête de sens, plusieurs candidats manifesten­t justement un penchant marqué pour le domaine de la santé.

Reste à savoir combien de temps ils y resteront une fois leur blouse blanche revêtue. Contrairem­ent au secteur informatiq­ue, les milieux médicaux font face à une très forte érosion de leur personnel, de nombreuses infirmière­s jetant l’éponge face à des conditions de travail difficiles et mal rémunérées.

Une réalité qui montre à quel point cette thématique va être aussi délicate que cruciale dans les années à venir. S’il n’est pas question de manipuler les foules ou de dicter les choix profession­nels, il est au moins souhaitabl­e que tout soit entrepris pour favoriser l’adéquation entre offre et demande sur le marché du travail. Malgré le spectre ou le fantasme d’une économie largement robotisée, les entreprise­s ont viscéralem­ent besoin de capital humain.

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland