Le Temps

Face à l’engouement pour l’atome, les cours de l’uranium s’envolent

Le métal qui sert de combustibl­e pour les réacteurs atomiques se vend toujours plus cher. Sans que cela inquiète des experts sondés par «Le Temps», car l’offre promet de rester abondante

- RICHARD ÉTIENNE @rietienne

Signe du regain d’intérêt pour l’énergie nucléaire, le cours de l’uranium grimpe à nouveau. Le contrat de référence sur l’oxyde d’uranium, qui une fois enrichi sert de combustibl­e nucléaire, est monté à 85 dollars la livre (450 grammes) en décembre, du jamais vu en seize ans. Mais en 2007 et dans les années 1970, les prix s’étaient encore plus embrasés (à 160 et 173 dollars respective­ment).

Commençons par la hausse, symptomati­que de l’engouement actuel pour l’atome qu’a décrit dans nos colonnes la semaine dernière Rafael Grossi, directeur de l’Agence internatio­nale de l’énergie atomique (AIEA).

«Depuis 2022, il y a beaucoup d’intérêt pour le nucléaire. L’Union européenne l’a inclus dans sa taxonomie verte. Des fonds introduise­nt des critères environnem­entaux, sociaux et de gouvernanc­e (ESG) avec le nucléaire. La question climatique, les besoins en électricit­é, son utilité pour produire de l’hydrogène, tout cela doit jouer un rôle dans l’augmentati­on des prix», confirme Maurice Bourquin, professeur honoraire à l’Université de Genève et membre du conseil scientifiq­ue de Transmutex, une start-up genevoise qui planche sur un réacteur au thorium.

«Bulle»

Dans les années 1970, les explicatio­ns étaient similaires. C’était la première vague de l’atome civil. Des centrales jaillissai­ent en France et aux Etats-Unis. En Suisse, le chantier de Leibstadt s’est ouvert en 1974, ceux de Beznau 1 et 2 quelques années plus tôt. Mühleberg (aujourd’hui fermé) date de 1972 et Gösgen de 1973.

En 1979, un accident dans une centrale en Pennsylvan­ie, Three Mile Island, et la catastroph­e de Tchernobyl, en Ukraine en 1986, changent la donne. Les cours de l’uranium chutent. Ils sont restés d’autant plus bas dans les deux décennies qui ont suivi qu’avec la fin de la Guerre froide, la Russie, en manque de cash, a écoulé ses importants stocks.

Moscou a fermé les vannes au début du millénaire, au moment où la demande, chinoise cette fois, s’envolait et dans un contexte d’offre en difficulté (la plus grande mine d’alors, au Canada, avait été inondée). La montée des prix a été si soudaine qu’on a parlé de «bulle de l’uranium». Son dégonfleme­nt a été précipité par l’accident de Fukushima en 2011.

Lluis Fontboté, professeur en métallogén­ie de l’Université de Genève, estime que ce précédent doit nous inciter à la prudence quant à l’évolution des prix aujourd’hui. D’autant plus que d’autres facteurs entrent en compte.

«Du point de vue géologique, les ressources en uranium sont abondantes. Les techniques d’extraction sont moins complexes que pour d’autres métaux. Ouvrir une mine d’uranium requiert moins d’investisse­ment que si c’était du cuivre. Si les prix restent élevés, cela incitera à l’ouverture d’autres mines. Cela ne m’étonnerait pas que les prix redescende­nt», estime-t-il.

Selon l’Agence pour l’énergie nucléaire et l’AIEA, l’offre en uranium dépasse de loin la demande. «Un demi-million de tonnes d’uranium sont en stock, l’équivalent de huit ans de production, c’est énorme, beaucoup plus que pour les autres métaux», affirme Lluis Fontboté.

«On a pris du retard dans l’exploratio­n de gisements, car pendant longtemps les prix ont été bas. Actuelleme­nt, la situation a changé et des problèmes géopolitiq­ues gagnent du poids», dit-il.

Parmi les dix principale­s mines d’uranium – qui ont produit plus de la moitié de l’uranium en 2022 – six sont dans des pays instables sinon proches de la Russie: quatre au Kazakhstan, deux en Namibie et une au Niger. «La fermeture d’une de ces mines aurait des conséquenc­es sur les prix», estime Lluis Fontboté.

Système russe fermé

Le combustibl­e ne contribue pas à plus de 15% des frais de fonctionne­ment des centrales nucléaires

L’oxyde d’uranium doit être enrichi puis assemblé en pellets avant de pouvoir être exploité dans un réacteur. Les prix du combustibl­e sont facilement trois fois plus chers qu’à la sortie de la mine.

«La hausse des prix telle qu’elle est reportée ne concerne pas la Russie. Ce pays, dans un système fermé et opaque, vend son uranium et l’installati­on de centrales dans une quinzaine de pays et veut récupérer leurs déchets. Il prétend pouvoir recycler 97% d’entre eux, ce qui est plausible car les technologi­es pour ce faire sont désormais connues, estime de son côté Maurice Bourquin. A l’avenir, on peut d’ailleurs imaginer des circuits quasi fermés de l’uranium, ce qui pourrait engendrer des fermetures de mines et des baisses de prix.»

Le professeur relève que le combustibl­e ne contribue pas à plus de 15% des frais de fonctionne­ment des centrales et qu’une variation de ses cours est à relativise­r. Le kilowatthe­ure d’origine nucléaire coûte en moyenne 4 centimes en Suisse, en tenant compte des coûts de constructi­on et de démantèlem­ent des centrales. «Ce n’est pas cher du tout et étendre leur durée de vie est la meilleure méthode pour produire de l’électricit­é à bas prix», affirme Maurice Bourquin.

Quelque 440 réacteurs fournissen­t 10% de l’électricit­é mondiale, selon la World Nuclear Associatio­n qui en recense 61 en constructi­on. Les Etats-Unis sont la première puissance nucléaire devant la Chine et la France mais c’est l’Empire du Milieu qui en érige le plus actuelleme­nt. ■

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