Le Temps

A Genève, un «Cyrano» raccourci et chanté

A l’Espace Vélodrome de Plan-les-Ouates, avant le Théâtre de Grand-Champ à Gland, le comédien Bastien Blanchard adapte le classique français avec un bel élan. Reste à trouver l’émotion de la partition

- M.-P. G.

Un Cyrano raccourci (le texte, pas le nez!), concentré sur les scènes d’anthologie et transposé dans un cabaret Années folles. Telle est l’idée stimulante proposée par le Genevois Bastien Blanchard, à l’adaptation et à la mise en scène, et par le clarinetti­ste Olivier Kessi qui, présent sur le plateau avec le pianiste Allan Broomfield et le percussion­niste Vivien Hochstätte­r, livre la partition de cette opération.

Pari réussi? Oui, pour la dramaturgi­e et la musique. Enchaîner les hits de ce monument du théâtre français (la tirade des nez et le duel, le balcon et le baiser, le siège d’Arras, la gazette de Cyrano agonisant) est un régal et les compositio­ns aux registres à la fois jazzy et klezmer d’Olivier Kessi donnent du punch à la soirée. D’où il est, Edmond Rostand, qui aimait l’audace, salue certaineme­nt ce traitement. Malheureus­ement, sous trois porches qui font à la fois cabaret, balcon et tour militaire, (scénograph­ie un peu plate de Cornélius Spaeter), le jeu est plus fragile. Si Charlotte Filou est, comme de coutume, incroyable dans le rôle de la meneuse de cabaret et si Wave Bonardi parvient à trouver la délicatess­e amusée de Roxane, pareil pour Sarkis Ohanessian qui donne à son comte de Guiche ce qu’il faut de suffisance, Mathieu Fernandez-V. semble emprunté sous les traits de Christian et, surtout, Bastien Blanchard, se révèle un peu lisse dans le rôle-titre.

Les mots sont là, qui filent avec aisance, mais il manque à Cyrano une épaisseur et un frémisseme­nt, de quoi restituer la complexité de cet amoureux heureux et malheureux en même temps. Cela dit, le spectacle a débuté vendredi. Bastien Blanchard peut encore trouver l’épaisseur de son héros au fil des représenta­tions.

La beauté de l’un, les mots de l’autre«Je serai ton esprit, tu seras ma beauté.» Ainsi se scelle le pacte amoureux le plus célèbre de la littératur­e française. Lorsque Cyrano de Bergerac, chef des cadets de Cascogne, propose au nouveau venu Christian de Neuvillett­e de lui prêter son éloquence pour séduire Roxane, l’audience sait déjà que le poète au nez grotesque est amoureux fou de sa cousine. On comprend immédiatem­ent à quel point le valeureux va à la fois jouir et souffrir de cet arrangemen­t.

Les coups de canons du siège

L’objectif de Cyrano? Protéger sa cousine qui dit qu’elle mourrait si son Christian était sot alors qu’il a la moustache fine. Dès lors, le lettré multiplie les billets à la belle, tandis que Christian lui fait les yeux doux. Jusqu’à la fameuse scène du balcon où Cyrano prend pour de bon la place du bellâtre et embrase Roxane de ses feux amoureux à défaut de pouvoir l’embrasser. C’est dans le registre romantique et fougueux que Bastien Blanchard doit encore trouver une émotion. Sinon, le comédien est déjà très à l’aise dans les passages pleins de panache, comme la scène du nez à l’Hôtel de Bourgogne et le duel «à la fin de l’envoi, je touche». La fin est aussi saisissant­e quand, pendant le siège d’Arras, qui, grâce aux coups de tonnerre musicaux et aux lumières de Marc Heimending­er, vibre des tremblemen­ts de la guerre, Cyrano est sur le point de dévoiler son amour à Roxane.

La belle surprise de ce spectacle? Elle s’appelle Wave Bonardi. Trop rare sur les scènes romandes, cette comédienne formée chez Serge Martin parvient à composer une Roxane parfaiteme­nt crédible, à mi-chemin entre la coquette et la grande âme.

Et bien sûr, Charlotte Filou, qui fut une Louise Michel stupéfiant­e sur la scène des Amis en juin dernier, s’illustre en meneuse de cabaret. Elle alterne voix feutrée et cri du coeur dans les chansons qui introduise­nt les scènes et passe avec la même aisance de la séductrice au boa à une sorte de mère Courage sur le champ de bataille. Avec les musiciens qui allument le plateau, la comédienne au fort tempéramen­t fait beaucoup pour le succès de la soirée. ■

Cyrano, Espace Vélodrome, Plan-les-Ouates, jusqu’au 28 janvier; Théâtre de Grand-Champ, Gland, du 1er au 4 février.

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