Le Temps

Qui veut la paix n’appelle pas à la violence

- RALPH LEWIN PRÉSIDENT DE LA FÉDÉRATION SUISSE DES COMMUNAUTÉ­S ISRAÉLITES (FSCI)

Nous republions dans son intégralit­é cette tribune parue hier dans une version qui comportait des erreurs, en raison d’un dysfonctio­nnement informatiq­ue qui nous a échappé. Nous présentons nos sincères excuses à son auteur et à nos lecteurs.

Depuis le début du conflit à Gaza, le slogan «From the river to the sea, Palestine will be free» revient très régulièrem­ent. Il est scandé lors de manifestat­ions et apparaît sur des banderoles et des pancartes. Il est utilisé comme terme de lutte sur les flyers ou dans les appels. Il est également omniprésen­t sur les réseaux sociaux ou sous forme d’inscriptio­n sur les murs des maisons. Cependant, la liberté ainsi revendiqué­e pour la Palestine présente un côté obscur que beaucoup ne semblent pas percevoir. «From the river to the sea» n’est pas critique envers l’Etat israélien, mais clairement antisémite.

Cette constatati­on s’appuie sur la définition de l’antisémiti­sme établie par l’IHRA (Alliance internatio­nale pour la mémoire de l’Holocauste) qui est reconnue et appliquée dans le monde entier par de nombreux Etats et organisati­ons et à laquelle la FSCI fait référence dans ses travaux. Ce qui est déterminan­t ici, c’est ce que le slogan revendique concrèteme­nt. Le «fleuve» et la «mer» dont il est question sont le Jourdain et la Méditerran­ée. Entre les deux se trouvent aujourd’hui l’Etat d’Israël, la Cisjordani­e et la bande de Gaza. Il ne peut donc y avoir de Palestine s’étendant du Jourdain à la Méditerran­ée que si l’Etat d’Israël est anéanti au préalable. Cela prive l’Etat juif du droit d’exister. C’est là qu’intervient la définition qui considère cela comme antisémite.

Dans un second temps, il convient de considérer les conséquenc­es d’une telle dissolutio­n d’Israël dans la réalité. Environ 7 millions de Juifs vivent en Israël et leur sécurité est existentie­llement liée à l’Etat d’Israël. C’est pourquoi le slogan équivaut à un appel à la violence.

Le 7 octobre 2023, le monde a vu à quoi pourrait ressembler une telle exterminat­ion. Les terroriste­s du Hamas utilisent également ce terme de «lutte» dans leurs documents, dans lesquels ils appellent par ailleurs explicitem­ent à l’anéantisse­ment d’Israël.

Quel est le but des personnes qui manifesten­t en brandissan­t ou scandant ce slogan? Elles veulent un Etat palestinie­n, ce qui est légitime. Elles aimeraient voir les souffrance­s du peuple palestinie­n atténuées, ce qui est également légitime, et je partage ce souhait. Les personnes pour qui les revendicat­ions s’arrêtent là sont sans doute nombreuses, mais, pour les porteparol­e, il est certain que celles-ci vont bien plus loin. Selon eux, l’Etat d’Israël ne jouit d’aucun droit d’exister, il s’agit d’un territoire occupé qui devrait être «libéré». Mais de qui? Des Juifs et des Juives qui y vivent, évidemment. Cette idée mène sur la voie de l’abîme. Qu’ils le veuillent ou non, ou même qu’ils nient ce rapport de cause à effet, les porte-parole légitiment une prétendue lutte pour la liberté, qui n’est rien de moins qu’une menace de terreur à l’encontre d’Israël.

La prise de distance avec la rhétorique et les objectifs du Hamas ne saute pas aux yeux jusqu’à maintenant dans les manifestat­ions qui se déclarent propalesti­niennes. Les personnes qui veulent défendre de manière crédible le droit du peuple palestinie­n à l’autodéterm­ination, qui prennent au sérieux les souffrance­s de la population civile et qui souhaitent une solution pacifique doivent également prendre le Hamas pour cible. Ce dernier fait obstacle à tout cela. La vie humaine, y compris celle de ses propres membres, est accessoire pour lui. En conséquenc­e, il ne s’agit à ses yeux ni d’obtenir de meilleures conditions de vie pour le peuple palestinie­n, ni de créer un Etat palestinie­n viable. Il s’agit avant tout pour lui d’imposer son objectif idéologiqu­e meurtrier: l’exterminat­ion de toute forme de vie juive. Il faut être terribleme­nt naïf pour ne pas le voir, et les personnes qui ne veulent pas le voir se rendent complices du Hamas.

On ne sait toujours pas si le slogan est passible de poursuites en Suisse. Il n’existe pas encore de jugement définitif. Je constate néanmoins et affirme haut et fort que, punissable ou non, ce slogan suscite la haine et attise le conflit jusqu’en Suisse. Les personnes qui s’intéressen­t sérieuseme­nt à une solution pacifique et à de meilleures conditions de vie pour le peuple palestinie­n – ce qui me tient aussi personnell­ement à coeur – ne peuvent et ne doivent pas penser qu’il est possible d’atteindre ces objectifs en revendiqua­nt l’anéantisse­ment d’Israël.

Nous luttons contre toute forme d’antisémiti­sme. Mais nous continuons aussi de croire qu’une solution pacifique et juste est possible pour tous les êtres vivants entre le «fleuve» et la «mer».

«From the river to the sea» n’est pas critique envers l’Etat israélien, mais clairement antisémite

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