Le Temps

Une nouvelle Alliance portuaire européenne contre le trafic de drogue

Face aux défis du narcotrafi­c qui engendre violences et corruption, les principaux ports d’Europe renforcent leur collaborat­ion. Le partenaria­t public-privé est mis en avant comme mesure pour combattre cette infiltrati­on criminelle

- VALÉRIE DE GRAFFENRIE­D, BRUXELLES @vdegraffen­ried

Ensemble contre le trafic de cocaïne et la criminalit­é organisée. Alors que les ports d’Anvers (Belgique) et de Rotterdam (PaysBas) sont gangrenés par la cocaïne et la violence des narcotrafi­quants, une nouvelle Alliance portuaire européenne voit le jour, basée sur un partenaria­t public-privé. Lancée par la Belgique dans le cadre de sa présidence de l’UE, en collaborat­ion avec la Commission européenne, cette alliance a pour but de renforcer et coordonner la lutte contre la criminalit­é organisée, en identifian­t les lacunes et vulnérabil­ités des différents ports.

Mieux évaluer les risques est indispensa­ble, car les narcotrafi­quants se montrent toujours plus inventifs pour faire passer la drogue malgré l’augmentati­on de la répression. La recherche du profit les pousse par ailleurs à adapter rapidement leurs circuits d’achemineme­nt vers des ports moins sécurisés ou plus petits.

«L’améliorati­on de la sécurité des centres logistique­s demande une réponse commune au niveau européen, dans laquelle les parties concernées collaboren­t de manière coordonnée. Rapprocher le secteur privé et les autorités douanières et répressive­s peut contribuer à identifier et mettre en place des solutions opérationn­elles et concrètes afin d’éviter que les ports de l’Union européenne ne soient infiltrés par des réseaux criminels et utilisés dans le cadre du trafic de drogue», précise le communiqué de la présidence belge

Des plongeurs néerlandai­s à Anvers

Une vingtaine de ports participen­t à cette alliance, dont ceux de Hambourg, de Marseille, de Dunkerque, d’Algésiras et du Havre. L’alliance réunit les Etats membres, les autorités locales, les forces de l’ordre, les autorités chargées de l’applicatio­n de la loi, les agences de l’UE, les autorités portuaires ainsi que des associatio­ns privées. Elle a été lancée hier à Anvers, en présence notamment d’Ylva Johansson, la commissair­e européenne aux Affaires intérieure­s, de la ministre de l’Intérieur belge Annelies Verlinden et la plupart de ses homologues européens, de Jacques Hubert Vandermeir­en, le président du port d’Anvers, et des autorités d’autres ports concernés.

Une alliance portuaire à cette échelle est une première. Mais il existe déjà des collaborat­ions poussées, notamment entre les ports d’Anvers et de Rotterdam, particuliè­rement touchés par le trafic de cocaïne. Des plongeurs néerlandai­s sont par exemple actifs à Anvers pour aider à débusquer la drogue planquée sous la ligne de flottaison des navires. Et tant à Rotterdam qu’à Anvers ou Hambourg, la coopératio­n entre autorités publiques et entreprise­s privées s’intensifie, avec le recours à de nouvelles technologi­es.

Davantage qu’une opération marketing?

Reste désormais à déterminer si cette alliance portuaire sera davantage qu’une belle opération de marketing. Car les autorités portuaires ne le cachent pas: la lutte contre le trafic de cocaïne ressemble parfois au mythe de Sisyphe. «Les chiffres indiquent clairement que la production de cocaïne dans le monde augmente. C’est le cas aussi de la consommati­on en Europe. Donc si les saisies augmentent, ce n’est pas uniquement en raison de nos bons résultats», confiait déjà l’été dernier au Temps Kristian Vanderwaer­en, patron de l’Administra­tion générale des douanes et accises belges.

«Le paradoxe est que nous saisissons toujours plus de drogue, mais que, malgré les arrestatio­ns et les saisies qui se multiplien­t, la cocaïne reste facilement disponible sur le marché, sans que les prix augmentent. L’Office des Nations unies contre

«Le flux infernal de la cocaïne dans le port d’Anvers est un monstre qu’il faut tuer» KRISTIAN VANDERWAER­EN, PATRON DE L’ADMINISTRA­TION GÉNÉRALE DES DOUANES BELGES

la drogue et le crime estime qu’environ 10 à 20% de la cocaïne est intercepté­e par les douanes. Le flux infernal de la cocaïne dans le port d’Anvers est un monstre qu’il faut tuer. La collaborat­ion internatio­nale est la clé pour mieux lutter contre le narcotrafi­c. Mais malgré cela, le monstre est toujours là», ajoutait-il.

Un constat partagé par la commissair­e européenne Ylva Johansson. «Il faut un réseau pour combattre un réseau. Les succès remportés contre les criminels dans un seul port ne feront que les déplacer vers d’autres ports», a-t-elle indiqué. Le ministre français de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a lui insisté sur la nécessité de respecter une concurrenc­e «loyale». Pour lui, il n’y a actuelleme­nt pas la même sécurité dans les ports belges et néerlandai­s qu’en France ou dans d’autres pays européens, «parce qu’il faut gagner la bataille du temps, de la logistique». «Plus vous mettez de moyens de sécurité, des passages sous scanners pour la drogue, des vérificati­ons de papiers, plus vous introduise­z des retards», a-t-il souligné à l’AFP. Or «quand vous commandez des choses, notamment sur internet, la vitesse est cruciale».

La semaine dernière, les autorités belges et néerlandai­ses ont présenté les chiffres 2023 des saisies de cocaïne depuis le port de Flessingue, aux Pays-Bas. Avec de nouveaux records: l’an dernier, 116 tonnes de cocaïne ont été intercepté­es à Anvers, première porte d’entrée de la drogue en Europe, 5% de plus qu’en 2022. Et alors que seuls 1 ou 2% de l’ensemble des conteneurs sont scannés. A Rotterdam, ce sont 59,1 tonnes de cocaïne qui ont été saisies.

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