Le Temps

La Conférence du désarmemen­t cherche à sortir de l’impasse

En juin 2023, les Etats se sont rencontrés à Montreux pour trouver des solutions. Hier au Palais des Nations, ils ont présenté les propositio­ns de réforme. Mais un expert estime que «2024 risque d’être une année perdue»

- STÉPHANE BUSSARD @StephaneBu­ssard

L’ambassadeu­r indien Anupam Ray, qui préside la Conférence du désarmemen­t (CD), installée au Palais des Nations à Genève, en est convaincu: «Il y a une vraie volonté d’aller de l’avant.» Les propos du diplomate, tenus hier lors d’un événement organisé par la France et l’Allemagne visant à revitalise­r la CD, reflète un optimisme qui pour l’heure n’a que peu d’ancrage dans la réalité. Cette institutio­n créée en 1978 est dans une impasse depuis 1996, date où elle a négocié son dernier instrument, le Traité d’interdicti­on complète des essais nucléaires. Un jour plus tôt, devant les 65 Etats membres de la CD, Anupam Ray était plus percutant: «Nous sommes confrontés aujourd’hui à une situation de paix fragile et nous avons plus que jamais au sein de cette Conférence une responsabi­lité d’en revenir à notre vocation, d’en revenir aux bases de notre travail, c’est-à-dire de forger des compromis, de négocier et de parvenir à des accords.»

Obstructio­nnisme russe

C’est précisémen­t ce que Paris et Berlin ont souhaité entreprend­re en mettant sur pied, avec l’Institut des Nations unies pour la recherche sur le désarmemen­t (Unidir), à la fin juin 2023 à Montreux une «retraite de haut niveau» visant à revitalise­r la CD. Un rapport rédigé par l’Unidir énumère une série de propositio­ns émises lors du séminaire de Montreux. Il y a de modestes mesures à court terme qui pourraient améliorer le fonctionne­ment de cette enceinte semi-onusienne. Le document propose que la CD organise une série d’événements parallèles qui traiteraie­nt «des aspects substantie­ls les plus pertinents pour les travaux de la CD». Il suggère que la Conférence du désarmemen­t crée des liens étroits avec d’autres organisati­ons qui travaillen­t de près ou de loin dans le même domaine. Est notamment mentionnée l’Organisati­on pour l’interdicti­on des armes chimiques (OIAC).

Le rapport laisse aussi entendre que la présence, à Genève, du secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, pourrait avoir un effet bénéfique sur la participat­ion à la Conférence. Une suggestion est plus controvers­ée: rendre redevables les Etats membres qui «utilisent le consensus comme un pouvoir de veto». Aucun Etat n’est pointé du doigt, mais il n’est pas difficile d’imaginer qui est visé. Un ambassadeu­r basé à Genève, qui souhaite garder l’anonymat, est pourtant catégoriqu­e: «La Russie pratique un vrai obstructio­nnisme et affiche sa volonté d’éviter toute critique de son invasion de l’Ukraine.» La Chine, de son côté, n’est pas obstructio­nniste à l’image de la Russie, mais «elle se cache derrière le Pakistan qui bloque des négociatio­ns sur un Traité interdisan­t la production de matières fissiles, analyse le diplomate. Or un tel traité aurait la vertu de pousser à un désarmemen­t nucléaire quantitati­f.» Parmi les propositio­ns les plus audacieuse­s, il y a celle consistant à fusionner la CD avec la Commission du désarmemen­t, un organe subsidiair­e de l’Assemblée générale de l’ONU. Cette fusion aurait pour conséquenc­e de «délocalise­r cette commission à Genève pour créer une capitale du désarmemen­t.

Présidence­s iranienne et israélienn­e

«Nous devons forger des compromis, négocier et parvenir à des accords» ANUPAM RAY, AMBASSADEU­R DE L’INDE

Les multiples propositio­ns pour «revitalise­r» la CD sont intéressan­tes. Mais elles ne permettent pas de faire l’économie d’un argument central résumé par le représenta­nt de l’Egypte auprès de l’enceinte multilatér­ale, qui est intervenu hier: «La CD est un organe de négociatio­n et non pas de délibérati­on. Nous avons besoin d’une nouvelle approche et surtout d’une volonté politique» de sortir de l’impasse.

Si nombre de questions liées aux armes mériteraie­nt d’être traitées en urgence, il est une décision qui va déjà diviser l’institutio­n genevoise: celle d’accepter ou non comme Etat observateu­r la Palestine. Or depuis que les Etats-Unis s’y sont déjà opposés il y a quelques années, un précédent a été créé. Par la suite, c’est la Turquie qui s’est opposée à ce que Chypre devienne un Etat observateu­r, puis l’Iran par rapport à l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis. Enfin en 2022, c’est la Russie qui s’est engouffrée dans la brèche en empêchant que plusieurs Etats de l’Union européenne obtiennent ce statut. «Cette année, s’interroge un expert, on peut se demander qui va bloquer qui. Mardi prochain, Israël et les Etats-Unis devraient s’opposer à nouveau à la Palestine. La situation risque de devenir délétère. Plutôt que de voter en bloc une liste de pays souhaitant devenir observateu­rs, on va trier pays par pays. On peut se demander d’ailleurs si 2024 ne sera pas une année perdue pour la CD qui sera présidée notamment par l’Iran et Israël.»

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