Londres relance la production d’hydrocarbures en mer du Nord
Le parlement examine une nouvelle loi destinée à faciliter les forages au large des côtes britanniques. Mais ce bassin vieillissant est de moins en moins rentable et son exploitation met en danger les engagements climatiques du pays
«Sunak, arrête le pétrole ou tes enfants te détesteront!» Les pancartes brandies par les manifestants d’Extinction Rebellion et de Just Stop Oil, réunis en début de semaine devant Westminster, avaient pour but de dénoncer une loi en cours d’examen devant le parlement. Elle prévoit l’octroi de nouvelles licences d’exploration gazière et pétrolière en mer du Nord à un rythme annuel. Elle est passée en seconde lecture lundi soir, avec 293 voix pour et 211 contre.
Il s’agit d’un renversement de situation complet. «Jusqu’à récemment, l’industrie pétrolière et gazière en mer du Nord était en déclin, après avoir atteint un pic de production aux alentours de 2000, relève Jan Rosenow, du Regulatory Assistance Project, un laboratoire d’idées énergétique. Il s’agit d’un bassin vieillissant, qui ne contient plus que des réserves limitées.» S’il générait encore 4,4 millions de barils équivalents pétrole en 1999, ce chiffre est tombé à 1,3 million en 2022.
Le gouvernement de Rishi Sunak veut néanmoins y relancer la production. L’été dernier, lors d’une visite en Ecosse, la région qui se trouve au coeur de l’industrie extractive, il a promis d’autoriser plus de 100 nouvelles licences d’exploration pétrolière et gazière. Fin septembre, il a donné son feu vert à l’exploitation du gisement de Rosebank, un gigantesque champ pétrolier et gazier situé au large des îles Shetland, qui pourrait contenir 500 millions de barils de pétrole. Il sera foré par le norvégien Equinor.
Sécurité énergétique
«Nous devons exploiter au maximum nos ressources en mer du Nord, afin de garantir notre sécurité énergétique», a estimé le premier ministre, rappelant que même lorsque le pays aura atteint la neutralité carbone en 2050 un quart de ses besoins en énergie continueront d’être couverts par le pétrole et le gaz. Le Royaume-Uni importe environ la moitié de ses hydrocarbures, essentiellement de Norvège, des Etats-Unis et du Qatar. Avant l’invasion de l’Ukraine, une petite part provenait également de Russie. En poussant la production domestique en mer du Nord, Rishi Sunak espère également faire baisser les prix de l’électricité et du gaz, qui ont doublé depuis 2021.
Ces arguments ne tiennent pas la route, contre Jan Rosenow. «La majorité du gaz et du pétrole en mer du Nord est extraite par des groupes privés qui le revendent sur les marchés internationaux, détaillet-il. Cela n’a donc aucun impact sur la sécurité énergétique du pays, ni sur les factures de gaz et d’électricité des Britanniques.» De plus, les décisions prises aujourd’hui ne produiront leurs effets que dans un futur distant. «Il faut compter vingt-huit ans en moyenne entre l’octroi d’une licence et l’exploitation d’un puits», précise-t-il.
Les groupes pétroliers ne se pressent pas non plus au portillon. «La baisse récente du prix du pétrole et les surcapacités sur le marché du gaz liquéfié rendent l’extraction en mer du Nord moins attractive», note Jan Rosenow. D’autant plus qu’il est de plus en plus coûteux d’atteindre les réserves restantes, situées loin au large des côtes.
En 2021, Shell s’est retirée de l’exploitation du gisement de Cambo, à proximité de Rosebank, jugeant cette dernière trop peu rentable. Le groupe Ithaca Energy a repris ses parts dans le projet, mais il hésite à son tour à le mettre en route. Si les géants pétroliers Total Energies, BP et Shell restent les acteurs les plus importants en mer du Nord, ils ont discrètement commencé à céder leur place à des firmes plus petites, comme Harbour Energy, Neptune Energy, Apache ou En Quest.
Menace sur les engagements climatiques
En relançant la production en mer du Nord, le Royaume-Uni met par ailleurs en danger ses engagements climatiques, estime Jan Rosenow. «Il s’agit d’une dangereuse distraction, à l’heure où le pays devrait être concentré sur la promotion de ses énergies renouvelables», dit-il.
Un avis partagé par une part importante des parlementaires, y compris au sein du Parti conservateur. L’un d’eux, Chris Skidmore, a démissionné début janvier pour signaler sa désapprobation. Alok Sharma, qui a présidé la COP26 tenue à Glasgow, et l’ex-première ministre Theresa May ont de leur côté ouvertement critiqué la loi adoptée lundi.
L’arrivée au pouvoir des travaillistes, qui semble assurée à l’issue des élections prévues d’ici à janvier 2025, pourrait toutefois changer la donne. Le parti s’est en effet engagé à ne plus octroyer de nouvelles licences pétrolières et gazières. Lundi, le ministre de l’Environnement, Ed Miliband, a décrit la loi adoptée par ses pairs au parlement comme un acte de «vandalisme climatique».
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