Le sacre d’une Walkyrie géante à Artgenève
La foire genevoise présente 80 galeries et une nouvelle section baptisée «Sur Mesure» qui fait la part belle à des oeuvres de grande taille. Pleins feux sur l’une d’elles signée Joana Vasconcelos
En 2018, une sculpture géante gonflable accueillait les visiteurs d’Artgenève. Felix (2017), un grand chat de dessin animé noir et blanc, imaginé par Mark Leckey trônait en haut de l’escalier roulant qui mène à la foire d’art souriant de toutes ses dents.
Cette année, le gigantisme est de retour à Artgenève et se décline au sein d’une nouvelle section, justement intitulée «Sur Mesure». En haut à droite de l’escalier roulant, dans un espace ad hoc, on se retrouve face à une énorme «pieuvre» qui brille de mille fleurs, couleurs et feux. C’est Valkyrie Mumbet (2020), une oeuvre monumentale de l’artiste portugaise Joana Vasconcelos (1971). La déesse guerrière plane et déploie ses longs bras et ses franges, suspendue dans cette vaste pièce drapée de noir, entourée de quatre autres oeuvres aux dimensions respectables même si elles semblent modestes au regard de l’imposante Mumbet.
Pour Mexico Set (2022), l’Américain Blair Thurman (né en 1961) a posé un buggy devant un paysage de toiles colorées; dans Autopanorama I, II, III (2023) la Française Dominique Gonzalez-Foerster (née en 1965) affiche un panorama extraterrestre où des architectures familières, utopiques dialoguent avec des aliens bienveillants; Ninth Life (2022) du Britannique Oli Epp (né en 1994) propose un toboggan, noir, lisse et un peu inquiétant en forme de chat; tandis que l’Américain Paul McCarthy (né en 1945) dévoile les drôles de grimaces d’un nain Grincheux en bronze sous le nom de White Snow Dwarf Grumpy (2026).
Luna Park
Cinq oeuvres, voilà qui reste modeste, au regard de Unlimited d’Art Basel qui proposait en 2023 pas moins de 76 objets d’art de grande taille à son public. Mais Nicolas Tremblay – qui avait apporté Felix à Artgenève – et qui assure aujourd’hui le commissariat de «Sur Mesure», explique que cette nouvelle section n’est pas seulement un espace offert aux galeries, mais aussi une exposition. «Nous avons choisi ces oeuvres en fonction d’une thématique, explique-t-il. L’idée, c’était de revenir vers la question de la foire, une foire du XIXe siècle où l’on pouvait voir des panoramas, où l’on trouvait des galeries marchandes: faire une sorte de clin d’oeil à ce que les Américains appellent l’amusement park, mais aussi à des lieux comme la Foire du Trône ou le Luna Park. Toutes les pièces qui sont ici y font référence. Lorsque j’ai vu en photo Valkyrie Mumbet de Joana Vasconcelos, elle m’a tout de suite fait penser à ces pieuvres qu’on retrouve sur les fêtes foraines.»
Monter une oeuvre comme un chapiteau
Installer Valkyrie Mumbet, c’est un peu comme monter un chapiteau. Il a fallu quatre jours pour que cette gigantesque structure fabriquée à la main et faite de pièces de crochet, de dentelle, de broderies, de tissus traditionnels mozambicains, de velours, de coton, de polyester, d’ornements et de pompons, mais aussi de LED, d’éléments gonflables et de câbles d’acier, s’élève dans les airs. Joana Vasconcelos est venue en personne pour l’occasion. «Il est rare de pouvoir exposer une pièce de cette taille dans une foire, dit-elle. Comme je suis dans le réseau de la monumentalité, je suis surtout dans les musées. Ici, c’est assez extraordinaire!»
Depuis près de vingt ans, Joana Vasconcelos travaille sur ses immenses walkyries. Celle-ci, explique-t-elle, a été créée à Boston, au MassArt Art Museum, en hommage à Elizabeth Freeman, dite MumBeth, première femme née en esclavage à obtenir sa liberté par voie de justice en 1781: «L’intérêt de ces pièces monumentales est qu’on peut vraiment entrer dedans et faire partie de l’oeuvre, se retrouver au centre. C’est un peu comme un temple: on entre et on est reçu par l’oeuvre.» Joana Vasconcelos nous entraîne sous sa création: «Il y a beaucoup de crochet, il y a beaucoup de dentelle. C’est le côté organique qui m’intéresse le plus. Elle est entièrement faite à la main. Il faut une année pour fabriquer ce genre de pièce. Ce sont principalement des femmes qui travaillent dessus. Au niveau des détails, elle est très riche.»
Pour sa galeriste Laura Gowen, le défi est de taille. Joana Vasconcelos avait déjà fait l’objet d’un «solo show» à Artgenève, mais, explique-t-elle, présenter des petites pièces est une chose, dévoiler une walkyrie même pour quelques jours en est une autre. «Je voulais montrer son ambition, la puissance d’une artiste vraiment majeure et internationale. C’est la première fois qu’on présente une telle pièce au public suisse.» Avis aux amateurs, Valkyrie Mumbet est à vendre pour 1,5 million d’euros.
En attendant, la pieuvre merveilleuse plane sur cette folle semaine genevoise, où les quelque 80 galeries qui ont investi Palexpo jusqu’à dimanche, multiplient les vernissages. Mardi, s’ouvrait la Biennale de l’image en mouvement au Centre d’art contemporain Genève, aujourd’hui c’est l’exposition L’Ordre des choses de l’artiste belge Wim Delvoye qui sera inaugurée au Musée d’art et d’histoire.
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«L’intérêt de ces pièces monumentales est que l’on peut vraiment entrer dedans, comme dans un temple»
JOANA VASCONCELOS, ARTISTE
Artgenève, 12e édition à voir à Palexpo, jusqu’au 28 janvier 2024.