L’Orchestre de la Suisse Romande léger comme un hologramme
Dans le cadre d’Artgenève, l’OSR propose un concert en mode symphonique et… dématérialisé. Une première mondiale en partenariat avec la start-up morgienne Cybel’Art, pour un spectacle étonnant à découvrir jusqu’à dimanche
Soudain, ils apparaissent. Sur l’estrade, encore vide quelques instants plus tôt, une septantaine de musiciennes et musiciens concentrés attaquent sans attendre un air léger et dansant. Dans le cadre feutré d’Artgenève, la foire d’art contemporain qui vient d’ouvrir ses portes au bout du lac, les instrumentistes de l’Orchestre de la Suisse Romande interprètent Tableaux d’une exposition, série de dix pièces du compositeur russe Modeste Moussorgski arrangée par Maurice Ravel en 1922. Sauf qu’ils ne sont pas vraiment là: sous nos yeux, leur hologramme. Ce n’est pas la première fois que l’hologramme s’invite dans le monde de la musique: ABBA, Maria Callas ou encore récemment Elvis Presley ont foulé les scènes en avatars virtuels, apparitions comme suspendues dans l’air. Mais un concert symphonique, c’est bien une première mondiale, à laquelle une cinquantaine de personnes pourront assister jusqu’à dimanche, au fil de quatre à cinq diffusions au salon par après-midi.
Une prouesse réalisée grâce à l’icologram (fusion d’«icône» et d’«hologramme»), technologie brevetée par l’entreprise morgienne Cybel’Art. Depuis quelques années, celle-ci développe ce double numérique parfait permettant d’immortaliser à jamais une performance, à revivre comme si on y était – Henri Dès s’est même prêté à l’exercice le mois dernier.
En 2D et en taille réelle
Contrairement à l’alter ego du chanteur, l’OSR apparaît ici en 2D, ses pupitres comme projetés, à taille réelle, sur une toile invisible. A la différence d’une projection classique, aucun écran ne rompt ici l’osmose – c’est là tout l’intérêt du dispositif, estime Pierluigi Orunesu, fondateur de Cybel’Art. Tout comme celui de «donner à l’OSR le don d’ubiquité!»
C’est le souci d’innover qui a poussé le directeur de l’OSR, Steve Roger, à contacter Cybel’Art. «Les technologies, l’intelligence artificielle et le côté immersif vont prendre de la place à l’avenir. Même si tout ça ne remplacera pas les sensations du concert en chair et en os, mieux vaut jouer une part active dans notre avenir.» Un rôle de pionnier que l’orchestre jouait déjà en 1954 lorsqu’il réalisait, sous la baguette de son fondateur Ernest Ansermet, le tout premier enregistrement symphonique stéréophonique. Plus tard, au début des années 2000, c’est encore l’OSR qui devenait le premier orchestre suisse à diffuser un concert en streaming.
Pour l’icologram, le défi technique n’en restait pas moins important: la captation, qui a eu lieu en septembre dernier au Théâtre de Beaulieu, a délocalisé l’orchestre dans une sorte de bulle tapissée de 700 m² de fonds verts, au milieu d’un essaim de micros et de caméras ultra-sophistiqués. De quoi enregistrer, en motion capture, le moindre mouvement d’archet, la moindre mimique, le moindre silence. «Retranscrire l’empreinte, l’ADN de l’orchestre, résume Pierluigi Orunesu. En captant l’émotion, on humanise le digital.»
Des images gothiques pour illustrer les tableaux musicaux
Agrémentée de la partition qui défile sur un écran et d’images gothiques illustrant chaque tableau musical (une oeuvre particulièrement appropriée au contexte d’Artgenève), l’expérience est déroutante. Malgré un son et une image d’une précision impeccable, il manque, pour que l’illusion soit parfaite, un sens de la profondeur. Mais, par moments, les gestes de la cheffe Ana Maria Patiño-Osorio, d’un cymbalier, comme détourés, semblent se fondre dans le décor. L’impression est particulièrement saisissante lorsque l’orchestre, en fin de concert, flotte sur toute la longueur de la scène en entonnant des airs de Carmen.Outre l’attrait de la nouveauté, cette diffusion en «réalité mixte» pourrait bien devenir un atout stratégique pour l’OSR, estime Steve Roger. «Il y a beaucoup de villes que l’orchestre n’ira jamais visiter, pour des raisons écologiques ou économiques. Cela permettrait d’amener de la culture dans ces zones, de permettre aux gens de découvrir ce qu’est un orchestre symphonique autrement que sur un écran.»
Le directeur songe aussi aux bateaux de croisière, dont les théâtres pourraient un jour accueillir la formation genevoise. Et l’expérience icologram ne s’arrête pas là. Prochaine étape, sur laquelle l’OSR et Cybel’Art planchent déjà: proposer une expérience immersive, ou comment les mélomanes se promèneront dans les rangs de l’orchestre grâce aux casques de réalité virtuelle.
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Concert de l’OSR en hologramme, diffusé au salon Artgenève (Stand A30), du 25 au 28 janvier, à intervalles réguliers dès 12h30 (dès 13h30 jeudi).