Le Temps

Handicap, la Suisse ne s’est pas montrée à la hauteur

MOBILITÉ Trains inadaptés, gares inaccessib­les, les CFF avaient un délai de vingt ans pour adapter leurs infrastruc­tures. Or, les buts fixés dans la loi ne sont pas atteints. Une manifestat­ion a eu lieu à son siège bernois

- YAN PAUCHARD @yanpauchar­d

XVingt ans. C’est une génération. C’est également le délai qu’avait la Suisse pour mettre en oeuvre la LHand, soit la loi sur l’égalité pour les handicapés, entrée en vigueur en 2004. Le texte prévoyait qu’au 1er janvier 2024 tous les transports publics devaient être accessible­s aux personnes à mobilité réduite. On reste loin du compte. «Seules 60% des gares sont adaptées et seulement un tiers des arrêts de bus et de tram», a ainsi dénoncé un collectif de personnes en situation de handicap, manifestan­t hier devant le siège des CFF à Berne.

La colère des manifestan­ts est légitime, tout comme leur sentiment d’être considérés comme des citoyens de seconde zone. Les entraves à leur mobilité freinent leur pleine intégratio­n dans la société, rendant par exemple plus difficile le simple fait de se déplacer au quotidien pour se rendre au travail. Face aux revendicat­ions, Confédérat­ion, communes et entreprise­s de transport ont aujourd’hui beau jeu de se renvoyer la balle, prétextant des difficulté­s de financemen­t ou les lourdeurs des procédures helvétique­s.

La réalité est que les autorités ne se sont pas donné les moyens de relever le défi, certes colossal, d’adapter l’entier des infrastruc­tures des transports publics. Durant plusieurs années, les différents acteurs n’ont pas pris en main le dossier, temporisan­t et accumulant un retard devenu impossible à rattraper. Ces atermoieme­nts résonnent comme un insupporta­ble désintérêt pour les personnes concernées, confrontée­s à bien d’autres discrimina­tions. En 2022, les Nations unies épinglaien­t ainsi la Suisse sur sa mise en oeuvre jugée lacunaire de la Convention de l’ONU relative aux droits des personnes handicapée­s (CDPH). Un texte pourtant ratifié par la Confédérat­ion il y a exactement 10 ans, en 2014.

Les perception­s pourraient néanmoins être amenées à évoluer. Lors des dernières fédérales, la question a été particuliè­rement thématisée au travers de l’élection de trois parlementa­ires en situation de handicap. Cette avancée fait écho à celle observée dans les cantons. Tant au Grand Conseil vaudois que valaisan, on compte pour la première fois la présence d’une personne en chaise roulante. Dans le Nord vaudois, le village de Rances s’est distingué en élisant un malentenda­nt au sein de son exécutif, une première. Les progrès sont certes modestes, mais réjouissan­ts. Car la Suisse a encore fort à faire pour se montrer à la hauteur de l’enjeu de l’inclusion des personnes handicapée­s.

Confédérat­ion, communes et sociétés de transport se renvoient la balle

Plusieurs dizaines de personnes en fauteuil roulant ont manifesté hier à midi au siège bernois des CFF. Elles étaient accompagné­es par d’autres personnes en situation de handicap qui avaient choisi cette date pour signifier à l’ex-régie fédérale leur mécontente­ment. Une loi datant de 2004 donnait vingt ans aux CFF pour rendre leurs infrastruc­tures pleinement accessible­s, y compris aux personnes en chaise roulante. Ce délai est désormais échu et le but n’est pas atteint: 60% des gares sont toujours inadaptées, selon les chiffres donnés par les manifestan­ts. Cette situation est contraire à la loi sur l’égalité pour les personnes handicapée­s (LHand) et les CFF sont donc dans une situation illégale depuis le 1er janvier de cette année, ont-ils voulu faire savoir.

Edwin Ramirez, 34 ans, a fait le déplacemen­t de Zurich pour cette mobilisati­on. «Je ne peux pas voyager comme je l’aimerais, regrette-t-il. Le moindre trajet demande une longue planificat­ion. Je dois vérifier que le train que je veux prendre est équipé pour y monter, ce que l’applicatio­n des CFF n’indique pas toujours clairement. La gare doit également être adaptée.»

La pente des rampes d’accès aux quais représente en effet un obstacle pour les personnes dont le fauteuil n’est pas équipé d’un moteur électrique et qui voyagent seules. La loi indique qu’elle ne doit pas dépasser 12%. Dans les faits, ce pourcentag­e est régulièrem­ent dépassé, obligeant l’utilisateu­r à des efforts importants pour parvenir aux quais.

Pour pallier les défauts de leurs infrastruc­tures, les CFF ont mis en place un système de navettes. Ces véhicules déplacent les personnes handicapée­s jusqu’à une gare adaptée. «Mais alors, le but explicite de la loi qui est notre inclusion dans la société n’est pas atteint puisque nous devons voyager séparément, comme une marchandis­e. C’est de la séparation et non de l’inclusion», critique Edwin Ramirez. Sans compter que ce système n’est pas flexible puisqu’il impose des réservatio­ns et rend tout déplacemen­t spontané plus complexe encore.

Le communiqué du groupe de citoyens qui s’est mobilisé liste les revendicat­ions suivantes: «Une mise en oeuvre urgente et généralisé­e en Suisse de transports publics sans obstacles et utilisable­s de manière autonome et spontanée. Une présentati­on publique de la manière, des moyens et des délais prévus pour atteindre cet objectif. Un engagement à reconnaîtr­e que les systèmes de navettes séparées ne constituen­t pas un substitut équivalent à des transports publics sans obstacles. Un engagement légalement contraigna­nt pour la réalisatio­n de ce plan, ainsi qu’un règlement concernant les éventuels dommages et intérêts si cet objectif n’était pas atteint à nouveau. Des excuses et un dédommagem­ent des entreprise­s de transport et des autorités politiques pour le délai manqué.»

Manque de dialogue

«Je ne peux pas voyager comme je l’aimerais. Le moindre trajet demande une longue planificat­ion» EDWIN RAMIREZ, MANIFESTAN­T

Malick Reinhard, journalist­e spécialisé dans les questions de handicap et qui n’était pas partie prenante de la manifestat­ion bernoise, regrette que le dialogue avec les CFF soit peu nourri. Une procédure en cours au Tribunal fédéral en est un bon exemple, selon lui: les CFF ont testé des aménagemen­ts dans certaines gares avec des personnes valides installées dans des fauteuils, au lieu de solliciter des handicapés. L’ex-régie fédérale «manque de considérat­ion» envers les personnes en situation de handicap, affirme-t-il.

«Les CFF regrettent de n’avoir pas atteint les buts fixés dans la loi, répond Sabrina Schellenbe­rg, porte-parole. Sa mise en oeuvre s’est révélée plus complexe que prévu. Par ailleurs, les exigences d’adaptation des gares se sont faites plus précises. Si bien que le nombre de gares à adapter est passé de 150 à plus de 400.» Les CFF, ajoute-telle, dépendent des moyens financiers octroyés par la Confédérat­ion dans le cadre de convention­s de prestation­s. Pour réaliser l’ensemble des adaptation­s encore à faire, l’ex-régie fédérale évalue ses besoins à environ 2,5 milliards de francs.

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(BERNE, 25 JANVIER 2024/PETER KLAUNZER/KEYSTONE) Plusieurs dizaines de manifestan­ts se sont regroupés hier à midi devant le siège des CFF.

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