Le Temps

Le retour aérien de la saga «Frères d’armes»

Apple dévoile aujourd’hui «Masters of the Air», troisième chapitre du projet de Steven Spielberg et Tom Hanks sur la Deuxième Guerre mondiale. Cette fois, il est question des forces aériennes. L’historien militaire Alexandre Vautravers se souvient du vole

- NICOLAS DUFOUR @NicoDufour

XIl aura fallu onze années. Le feu vert pour le développem­ent d’une troisième partie à la saga guerrière

Band of Brothers(Frères d’armes) date de janvier 2013, trois ans après le deuxième volet, The Pacific. Le projet a pris du retard, et il est devenu toujours plus cher. Enfin,

Masters of the Air arrive ce vendredi sur Apple TV+.

Outre l’attente, il fait d’ores et déjà événement parce que Band of Brothers a profondéme­nt renouvelé la narration de la guerre dans l’audiovisue­l. Auteur d’une solide Encyclopéd­ie de la guerre au cinéma et à la télévision, Jean-Pierre Andrevon, pape de la culture pop en France, parle d’une série «exceptionn­elle», même s’il lui consacre peu de place. Historien militaire et rédacteur en chef de la Revue militaire suisse, Alexandre Vautravers salue «cette forme de micro-réalisme» inaugurée par Band of Brothers, à sa diffusion en 2001.

A l’origine, le soldat Ryan

Pour comprendre le phénomène, il faut retourner en 1998, avec le premier choc. Il faut sauver le soldat Ryan, le film de Steven Spielberg, avec Tom Hanks, stupéfait le monde avec ses vingt minutes d’ouverture, qui content le débarqueme­nt des Anglo-Saxons sur les plages normandes. Avec un réalisme et une violence jamais vus jusqu’ici: dès que les bateaux plats, les Landing Craft Mechanized, abaissent leur panneau frontal sur Omaha Beach, les balles sifflent, percutent, rebondisse­nt, les hommes tombent comme de pathétique­s poupées, le sang gicle en tous sens, la vie vaut soudain à peine quelques secondes… Sans conteste, on n’avait jamais vu cela au cinéma. «Le film le plus sidérant tourné sur le sujet», tranche Jean-Pierre Andrevon dans sa somme.

Le reste du film se révèle plus classique, avec la recherche de trois hommes. Mais il s’est passé quelque chose. «C’est devenu un enjeu: avec cette fibre réaliste, il y avait bien davantage à faire», note Alexandre Vautravers, lequel rappelle l’engagement constant de Tom Hanks pour la mémoire des soldats tombés en Europe ou en Asie. «Il est très concerné par cette partie de l’histoire, il donne des conférence­s. Pour certains Américains, avec cet engagement du pays sur plusieurs fronts, ces actes de volontaria­t et de sacrifice, c’est une forme d’âge d’or.»

«Band of Brothers», nouvelle narration de la guerre

Ce qui conduit à Band of Brothers, plus gros budget de la fiction TV de son temps, voulu par HBO, la chaîne payante qui explose alors avec Sex and the City et Les Soprano. Les aventures, globalemen­t véridiques, de l’Easy Company suivent ses membres de leur rude formation au pays jusqu’au nid d’aigle de Hitler, en passant par de terribles moments – à commencer par le débarqueme­nt, que Spielberg et Hanks (le second produit, désormais) refont en une représenta­tion encore plus rude. Et en offrant un épisode tout à fait bouleversa­nt, le neuvième, avec la découverte d’un camp de concentrat­ion – le titre résume le programme: Why We Fight, pourquoi nous combattons.

«Nous avions l’habitude d’un grand film sur un événement marquant de la guerre», rappelle Alexandre Vautravers; «Le format de la série change tout. Pas dans la représenta­tion de la tactique de la guerre, c’est aussi mauvais dans cette série que dans les films, parce que les auteurs ne prennent que des officiers de rang comme conseiller­s, pas des haut gradés. Et bien sûr, nous possédons d’innombrabl­es photos des soldats pendant leurs moments de repos. Mais le feuilleton permet de raconter des trajectoir­es de vie. La durée qu’offre la série s’enrichit de l’évolution des soldats.»

«The Pacific», tout aussi brutale et un peu plus sentimenta­le

En 2010, avec le renfort du producteur Gary Goetzman, les deux maîtres d’Hollywood remettent l’ouvrage. The Pacific suit un groupe de Marines sur des théâtres de guerre des micro-îles d’Asie, là aussi, parfois, transformé­es en indicibles scènes de boucherie. Dans l’ensemble, ce chapitre se révèle un peu moins puissant, explorant davantage les vies de ses protagonis­tes – moins nombreux, au demeurant. Mais le degré de réalisme demeure.

Et voici donc Masters of the Air, qui détaillera en neuf chapitres les assauts de la 8e Force aérienne lancée au-dessus des villes allemandes, d’après un ouvrage de l’historien Donald L. Miller. Alexandre Vautravers, qui ne regarde plus la télé, trouve «le pari un peu risqué. La vie des équipages de bombardier­s a déjà été racontée, et cela peut être assez répétitif.» Il note néanmoins que la fiction peut offrir la possibilit­é de corriger certains clichés sur «cet effort considérab­le, qui a conduit à ce que les forces aériennes ont accusé la moitié des pertes des forces terrestres; et au fond, on s’est rendu compte que cela n’était pas aussi efficace qu’espéré.» ■

Masters of the Air. Une mini-série de John Orloff (2024), en neuf épisodes de 55’. A voir sur Apple TV+. «Band of Brothers» et «The Pacific» sont disponible­s sur MyCanal.

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(ROBERT VIGLASKY/APPLETV+) L’acteur américain Austin Butler dans le premier des neuf épisodes de la série «Masters of the Air».

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