Le plus grand exercice de l’OTAN depuis la Guerre froide provoque l’ire de Moscou
L’Alliance atlantique organise une simulation de conflit avec plus de 90 000 hommes pour «renforcer la défense de l’Europe». Et, par ricochet, surtout dissuader le Kremlin de toute nouvelle agression
«Un exercice de cette ampleur marque le retour définitif et irrévocable de l’OTAN aux schémas de la Guerre froide, lorsque le processus de planification militaire, les ressources et l’infrastructure sont préparés pour la confrontation avec la Russie.» La réaction russe n’a pas tardé. Ainsi s’exprimait dimanche Alexandre Grouchko, vice-ministre russe des Affaires étrangères, cité par l’agence de presse nationale RIA. Dans sa ligne de mire: Steadfast Defender 2024 («Défenseur inébranlable»), l’exercice militaire de l’OTAN qui a officiellement démarré ce mercredi. Alexandre Grouchko va jusqu’à parler de «guerre hybride déclenchée par l’Occident contre la Russie».
En 1988, Reforger
Avec ses 90 000 soldats de 31 pays alliés et de la Suède, ses 50 navires de guerre, ses 80 avions et plus de 1100 véhicules de combat déployés, Steadfast est la plus grande simulation de conflit de l’Alliance depuis la fin de la Guerre froide, rappelle l’OTAN dans un communiqué. Elle organise en principe ce type d’exercice tous les deux ans, mais il faut remonter à 1988 et à Reforger, pour retrouver une simulation aussi importante (125 000 hommes).
Steadfast Defender, une opération maousse transformée en démonstration de force qui vise spécifiquement la Russie? «De nombreuses forces armées européennes ont oublié comment entreprendre des opérations de grande taille, après trois décennies de concentration sur des opérations étrangères de petite envergure. Il est donc nécessaire d’organiser de tels exercices massifs afin de retrouver cette expertise», commente Sven Biscop, directeur du programme «L’Europe dans le monde» à l’Institut royal Egmont pour les relations internationales, et professeur à l’Université de Gand (Belgique). «En même temps, il s’agit d’un signal de dissuasion vis-à-vis de la Russie».
Les mots sont lâchés. Olivier Kempf, directeur du cabinet de synthèse stratégique La Vigie, chercheur associé à la Fondation pour la recherche stratégique et général de l’armée de terre française à la retraite, partage la même analyse. Il rappelle que Steadfast Defender était probablement pensé avant l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022. «Pour organiser un tel barnum, il faut bien deux ans. Mais l’exercice a en effet pu être réévalué dans le contexte de la guerre», dit-il.
«Les Etats membres y ont probablement vu une opportunité pour y faire participer davantage d’hommes. Les nations alliées voient bien ce qui se passe avec l’Ukraine. Nous sommes revenus à des conflits beaucoup plus durs et les pays comprennent la nécessité de s’entraîner plus sérieusement. Même si le risque russe est présent, les armées ont de façon générale besoin de s’entraîner aux nouvelles conditions de combat, avec de nouveaux équipements et de nouveaux moyens.»
Simulation contre un «adversaire de taille comparable»
Concrètement, Steadfast Defender simule le déclenchement de l’article 5 qui prévoit une assistance mutuelle entre Etats membres en cas d’attaque d’un des leurs. L’exercice «démontrera la capacité de l’OTAN à déployer rapidement des forces à partir de l’Amérique du Nord et d’autres régions pour renforcer la défense de l’Europe», précise l’organisation dans son communiqué. Elle «montrera que nous pouvons mener et soutenir des opérations complexes multi-domaines pendant plusieurs mois, sur des milliers de kilomètres, du Grand Nord à l’Europe centrale et orientale, quelles que soient les conditions».
«L’exercice Steadfast Defender 2024 sera une démonstration claire de notre unité, de notre force et de notre détermination à nous protéger les uns les autres, à protéger nos valeurs et l’ordre international fondé sur des règles», a précisé le 18 janvier le général américain Christopher Cavoli, commandant suprême des forces alliées en Europe. Première phase de l’exercice: la traversée de l’Atlantique du USS Gunston Hall, navire de guerre américain, depuis Norfolk, dans l’Etat de Virginie. Un navire canadien le rejoindra dans quelques jours.
Le communiqué de l’OTAN mentionne une simulation contre un «adversaire de taille comparable». La Russie n’est jamais citée. Mais personne n’est dupe. Boris Pistorius, le ministre allemand de la Défense, a d’ailleurs récemment alerté des risques d’une expansion de l’offensive russe en Occident. «Vladimir Poutine pourrait même attaquer un jour un pays de l’OTAN, nous devons réapprendre à vivre avec le danger», a-t-il affirmé dans une interview accordée au quotidien allemand Der Tagesspiegel.
Il s’appuie sur des sources des renseignements pour évoquer un scénario possible dans les «cinq à huit ans». Et invite les pays membres de l’Alliance à se préparer au pire pour être «capables de faire la guerre». Il l’a réaffirmé dimanche à la télévision allemande ZDF. Son collègue suédois Carl-Oskar Bohlin avait préalablement déclaré que «la guerre pourrait venir en Suède». L’amiral Rob Bauer, président du comité des chefs d’état-major de l’OTAN, a de son côté relevé que l’organisation est confrontée au «monde le plus dangereux depuis des décennies».
Ne pas surévaluer la «menace»
Depuis l’invasion de l’Ukraine, le président russe a proféré des menaces à l’égard des pays baltes ou de la Pologne, qui font partie de l’OTAN, mais également de la Moldavie. Depuis l’annexion de la Crimée en 2014 mais surtout de l’invasion de l’Ukraine de 2022, l’OTAN a déjà renforcé sa présence sur son flanc oriental.
Mais pour Olivier Kempf, la «menace» russe, si elle ne doit pas être minimisée, ne doit pas non plus être surévaluée. «Je comprends les motifs politiques de certaines déclarations, pour resserrer les rangs. Mais regardez ce qui se passe en Ukraine: sur un front de 1000 kilomètres de large, les Russes n’arrivent pas à progresser de plus de 1 kilomètre. Il y a encore de la marge jusqu’à ce qu’ils arrivent en Allemagne…» ■