Le Temps

Des Gazaouis soumis à des mauvais traitement­s dans les camps israéliens

Selon l’ONU, des milliers de Palestinie­ns ont été arrêtés dans la bande de Gaza et détenus plusieurs semaines dans des camps militaires ou des centres de détentions israéliens. A leur libération, beaucoup racontent avoir été battus et humiliés

- CAMILLE PAGELLA @CamillePag­ella

Des hommes à moitié nus, alignés assis et la tête baissée. Ils sont au moins 80; parmi eux, des adolescent­s. La scène, filmée le 7 décembre 2023 dans la rue Al-Souk à Beit Lahia, au nord de la bande de Gaza par un homme en treillis, sera postée sur 72 Virgins – Uncensored. Ce canal Telegram publie depuis le début de la guerre des images particuliè­rement violentes. L’unité de l’armée israélienn­e responsabl­e des opérations de guerre psychologi­que serait derrière ce compte, selon le quotidien Haaretz.

«Menottés et les yeux bandés»

Parmi eux, Ayman Lubbad, un militant des droits humains. «Vers 10h, nous avons entendu les forces d’occupation israélienn­es ordonner aux gens, par le biais de haut-parleurs, de quitter leurs maisons et de se rendre. Les femmes et les personnes âgées ont été envoyées à l’Hôpital Kamal Adwan et les hommes de plus de 14 ans ont reçu l’ordre de se déshabille­r et de s’agenouille­r dans la rue», raconte-t-il dans un rapport publié par Palestinia­n Center for Human Rights, l’ONG pour laquelle il travaille. «Certains hommes ont été forcés à danser», ajoutet-il, et l’armée israélienn­e a incendié des maisons «devant nos yeux».

Depuis début décembre, des vidéos montrant l’armée israélienn­e s’adonner à des pratiques dégradante­s défilent sur les réseaux sociaux. Elles montrent des hommes à moitié nus ou en sous-vêtements, dans les rues de Gaza ou agenouillé­s à l’arrière de camions les emmenant vers des destinatio­ns inconnues. Selon l’ONU, «des milliers de Gazaouis» auraient été arrêtés depuis le début de l’offensive terrestre. «Il s’agit d’hommes qui ont été détenus par les forces de sécurité israélienn­es dans des lieux inconnus pendant trente à cinquante-cinq jours. Ils ont décrit avoir été battus, humiliés, soumis à des mauvais traitement­s et à ce qui pourrait s’apparenter à de la torture, expliquait Ajith Sunghay, le chef du bureau du Haut-Commissari­at des Nations unies aux droits de l’homme pour les territoire­s palestinie­ns occupés, après avoir rencontré des détenus libérés. Le responsabl­e onusien précise également que certains détenus sont rentrés à Gaza sans vêtements, en ne portant que des couches.

Après avoir été arrêté à Beit Lahia, Ayman Lubbad a été transporté sur une plage de la zone de Zikim, avant d’être emmené avec ses camarades d’infortune dans la base militaire d’Ofekim, «menotté et les yeux bandés». Après plusieurs interrogat­oires, il sera d’abord transféré dans un centre «entouré de fils barbelés» qui concentre entre 500 et 700 personnes. L’homme rejoindra finalement un centre de détention à Jérusalem. Il dit avoir subi un interrogat­oire pendant de longues heures concernant les membres de sa famille éloignée «et leurs relations présumées avec le Hamas.»

A Gaza où 12 personnes sont mortes et plus de 75 ont été blessées par des tirs sur un refuge de l’agence onusienne pour les réfugiés palestinie­ns (UNRWA), ces arrestatio­ns continuent tout comme les combats malgré des efforts intensifié­s du Qatar, de l’Egypte et des Etats-Unis pour parvenir à une nouvelle trêve plus longue et incluant la libération d’autres otages et prisonnier­s. «Et beaucoup de ces actes et crimes lors des arrestatio­ns n’ont pas été filmés, détaille Tala Nasir, porte-parole de l’ONG Addameer qui défend les droits des détenus palestinie­ns. Malheureus­ement, nous ne disposons pas de chiffres précis sur les détenus: les autorités israélienn­es ne nous ont donné aucune informatio­n sur leur nombre et leur lieu de détention. Bien souvent, même les familles n’ont pas de nouvelles et les avocats n’ont pas le droit de leur rendre visite.»

La loi sur les combattant­s illégaux

Depuis 2002, la «loi sur les combattant­s illégaux» permet à Israël d’arrêter et détenir des personnes pour une durée indétermin­ée et sans accusation­s claires. Depuis le 26 octobre, des mesures d’urgences facilitent encore les processus d’arrestatio­n. La semaine dernière, l’ONU a appelé Israël à garantir aux personnes arrêtées un traitement conforme aux normes internatio­nales. «A moins qu’Israël ne puisse démontrer des raisons impérieuse­s de sécurité pour chaque personne restant en détention, celle-ci doit être inculpée ou libérée.» De son côté, le CICR explique n’avoir eu accès à aucun prisonnier palestinie­n. «Le 7 octobre 2023, les autorités israélienn­es ont pris la décision de suspendre les visites de détention du CICR jusqu’à nouvel ordre», explique l’organisati­on au Temps.

Selon Addameer, les détenus de Gaza seraient majoritair­ement envoyés dans deux camps militaires: les hommes à Sde Teiman à côté de Beer-Sheva et les femmes à Anatot près de Jérusalem, qui rejoignent ensuite leurs compatriot­es de Cisjordani­e à Damon. Selon +972 Magazine, c’est dans le camp de Sde Teiman que se déroulerai­t la majorité des abus. Dans une enquête réalisée sur la base de témoignage de prisonnier­s libérés, le média israélien révèle une violence systématiq­ue: coups, brûlures à la cigarette, décharges ou privation de sommeil. «La punition la plus courante était d’être attachés à une clôture et de devoir lever les bras pendant plusieurs heures. Celui qui les baissait était emmené par les soldats et battu», explique un ancien détenu à +972 Magazine.

Après plus d’une semaine de détention, Ayman Lubbad sera finalement transféré en bus au point de passage de Karem Abou Salem, dans le sud de Gaza. «Nous avons commencé à marcher vers Rafah. Je n’avais rien d’autre en ma possession que ma carte d’identité. J’ai informé ma famille que j’avais été libéré et je suis parti à la recherche de mes proches déplacés.»

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