L’exécution à l’azote relance le débat sur la peine de mort
L’Alabama s’apprêtait jeudi à effectuer une première mise à mort d’un détenu par asphyxie. Controversée, la méthode menace pourtant de relancer le nombre des exécutions dans le pays alors que la Cour suprême à majorité conservatrice refuse d’intervenir dans ce domaine
A moins d’un ultime rebondissement, Kenneth Eugene Smith vivait ses dernières heures jeudi. Une Cour fédérale a rejeté mercredi soir la suspension d’une nouvelle méthode d’asphyxie, encore jamais utilisée, contre ce détenu depuis plus de trente ans dans les couloirs de la mort de l’Alabama, dans le sud-est des Etats-Unis. La Cour suprême avait elle aussi refusé d’intervenir mercredi.
Le gouverneur de cet Etat a fixé à ce jeudi ou vendredi la date de l’exécution. Kenneth Eugene Smith sera le premier à être exécuté dans le pays cette année. L’azote, qui compose 78% de l’air que l’on respire, sera injecté dans un masque placé sur le visage du détenu. Une manière de provoquer l’asphyxie, selon le protocole décidé par l’Alabama.
Agé de 58 ans, Kenneth Eugene Smith a été condamné à mort en 1989 pour le meurtre une année plus tôt d’Elizabeth Sennett, dont l’époux avait commandité le meurtre avant de se suicider. Comme son complice, exécuté en 2010, Kenneth Eugene Smith avait touché 1000 dollars. Lors d’un second procès en 1996, 11 jurés sur 12 s’étaient prononcés pour commuer la peine capitale en prison à perpétuité. Mais un juge a maintenu la peine de mort contre l’avis du jury, ce qui n’est aujourd’hui plus possible en Alabama, ni nulle part aux Etats-Unis.
Une première tentative ratée
Le prisonnier a échappé à une première tentative d’exécution en novembre 2022, après que les employés du pénitencier d’Atmore, dans le sud de l’Alabama, n’ont pas réussi à placer une intraveineuse pour lui administrer une injection létale. Cette technique a été utilisée dans près de 90% des cas depuis que la peine de mort a été déclarée à nouveau conforme à la Constitution américaine par la Cour suprême en 1976. Mais les injections létales se heurtent à la difficulté de se procurer les substances nécessaires, notamment du fait de l’interdiction d’exportation de produits fabriqués en Europe.
Dans un article publié cette semaine par le site Politico, Lara Bazelon, professeure de droit à l’Université de San-Francisco, argumente que l’utilisation de médicaments moins efficaces a conduit à de nombreux cas où les condamnés ont agonisé pendant des heures ou même à des exécutions ratées. «Ces spectacles terribles faisaient espérer la fin des exécutions mais la Cour suprême laisse les Etats expérimenter de nouvelles méthodes», dénonce-t-elle.
Le procureur général de l’Alabama décrit ce procédé «comme peut-être le moyen le plus humain» pour une mise à mort
Paradoxalement, après sa première exécution manquée, Kenneth Eugene Smith avait dû choisir une méthode d’exécution alternative. Il a opté pour l’asphyxie à l’azote qui avait été approuvée en 2018 en Alabama, de même qu’au Mississippi et en Oklahoma. Ses avocats plaident aujourd’hui que ce choix n’était pas informé, puisque cette technique n’a jamais été testée. Dans leur recours à la Cour suprême, ils dénonçaient la violation des droits du condamné: «Il est difficile d’imaginer un cas plus exceptionnel d’un Etat essayant d’exécuter une personne pour la seconde fois avec un procédé inédit alors qu’il avait été soumis il y a 14 mois à des heures de douleur, causant des séquelles physiques et émotionnelles».
Le procureur général de l’Alabama décrit au contraire ce procédé «comme peut-être le moyen le plus humain jamais inventé pour une exécution». Le révérend qui doit accompagner Kenneth Eugene Smith dans ses derniers instants a révélé avoir dû signer une décharge. Il s’est engagé à ne pas s’approcher à moins d’un mètre en cas de fuite d’azote, un gaz inodore et incolore, du masque du condamné.
Cette première mondiale suscite l’inquiétude jusqu’à Genève. Le 16 janvier dernier, Ravina Shamdasani, la porte-parole du Haut-Commissariat des Nations unies pour les droits de l’homme, mettait en garde contre une méthode «qui pourrait être assimilée à de la torture». Elle pointait le fait que l’association des vétérinaires aux Etats-Unis recommande l’usage de sédatif avant d’euthanasier des mammifères avec de l’azote. Or, le protocole ne prévoit pas l’utilisation de tels médicaments et permet l’administration de gaz au condamné pendant quinze minutes, ce qui pourrait provoquer des souffrances prolongées, selon l’ONU.
«La peine de mort est incompatible avec le droit fondamental à la vie. Il n’est pas prouvé qu’elle a un effet dissuasif pour réduire la criminalité et elle engendre un risque inacceptable d’exécuter des personnes innocentes. Plutôt que d’inventer de nouvelles façons d’appliquer la peine capitale, nous demandons instamment à tous les Etats de mettre en place un moratoire sur son utilisation, avant de progresser vers son abolition universelle», prônait Ravina Shamdasani.
Aux Etats-Unis, une poignée d’Etats recourent encore à la peine de mort. L’an dernier, 24 condamnés ont été exécutés, selon le Death Penalty Information Center. Ce chiffre n’a cessé de baisser depuis le pic de la fin de la décennie 1990, quand près de 100 personnes étaient exécutées et plus de 300 étaient condamnées à mort chaque année.
Dans son rapport annuel, le centre se félicite, selon un sondage Gallup, qu’une majorité d’Américains (53%) considère que la peine de mort est appliquée de façon injuste, une première. Mais une proportion identique continue de soutenir cette sentence définitive. Malgré la permissivité de la Cour suprême, le Death Penalty Center ne redoute pas une augmentation des exécutions.
La professeure Lara Bazelon est moins optimiste: «En 2021, il n’y a eu que 11 exécutions et on a pensé qu’elles allaient disparaître. Mais la courbe s’est depuis inversée sous l’impulsion de procureurs intransigeants et de gouverneurs qui se profilent sur la lutte contre la criminalité.» Selon elle, la Caroline du Sud veut reprendre les exécutions, de même que l’Utah. Quand il était encore candidat à la Maison-Blanche, le gouverneur de Floride Ron DeSantis a prévu six exécutions pour 2024. Il a aussi poussé pour l’adoption d’une loi assouplissant l’application de la peine de mort pour des crimes sexuels contre les enfants. Et l’unanimité des jurés n’est plus nécessaire pour prononcer la peine capitale. En août 2023, le jury d’une cour fédéral a condamné à mort l’assaillant d’une synagogue en Pennsylvanie, qui avait tué 11 personnes en 2018, une première sous l’administration Biden.
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