Le Temps

La loi immigratio­n largement censurée

Emmanuel Macron avait lui-même saisi le Conseil constituti­onnel, jugeant que certaines mesures imposées par la droite n’étaient pas conformes à l’Etat de droit. Une démarche juridique critiquée

- PAUL ACKERMANN, PARIS @paulac

Le Conseil constituti­onnel français a censuré ce jeudi comme prévu un certain nombre de mesures contenues dans la loi immigratio­n qui avait secoué le camp présidenti­el en décembre. Et la censure est encore plus large qu’attendu: 32 des 86 articles sont jugés sans lien avec le texte, relevant du travers procédural connu sous le nom de «cavalier législatif», comme la caution que les étudiants étrangers auraient dû déposer pour entrer en France.

Trois autres éléments sont jugés purement et simplement anticonsti­tutionnels, comme les quotas votés par le parlement pour plafonner le nombre d’étrangers qui pourraient s’installer sur le territoire chaque année. Au bout du compte, c’est plus du tiers des articles qui tombent à l’eau.

Adopté avec les voix de la droite traditionn­elle et de l’extrême droite, ce texte avait choqué une partie de l’aile gauche du macronisme. Le ministre de la Santé Aurélien Rousseau avait même décidé de démissionn­er suite à l’adoption de cette loi validée par son gouverneme­nt.

Posture juridique atypique

Dès décembre et en ce début d’année encore, les ministres et Emmanuel Macron laissaient entendre qu’il faudrait attendre cette décision des Sages pour se prononcer sur la véritable ligne portée par cette loi. Le président de la République avait lui-même saisi le Conseil constituti­onnel jugeant que certaines mesures ne correspond­aient pas à la vision française de l’Etat de droit. Cette posture institutio­nnelle et juridique pour le moins atypique, qui consistait à dire «nous avons fait passer un texte sous la pression de la droite mais ne vous en faites pas il est en grande partie inconstitu­tionnel» avait provoqué de nombreuses critiques. Le président du Conseil constituti­onnel, Laurent Fabius, avait même fait remarquer lors de ses voeux au président de la République qu’on arrivait aux limites de la «confusion entre le droit et la politique».

Ce jeudi, ce sont donc par exemple plusieurs mesures restreigna­nt le droit du sol et certaines mesures de restrictio­n du regroupeme­nt familial qui sont passées à la trappe. Censurées également, l’instaurati­on d’un délit de séjour irrégulier et, surtout, les périodes de carence pour les étrangers avant de toucher certaines prestation­s sociales (trente mois pour ceux qui travaillen­t, cinq ans pour les autres). De nombreuses voix critiques avaient vu dans cette dernière mesure une concession faite à la «préférence nationale» portée par le Rassemblem­ent national, argument jugé non recevable par le camp présidenti­el.

«La loi est amputée»

Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, s’est félicité ce jeudi soir du fait que «le Conseil constituti­onnel valide l’intégralit­é du texte du gouverneme­nt». Pour lui, la censure «pour non-respect de la procédure parlementa­ire» ne concerne que les «nombreux articles ajoutés au parlement». Le président du Rassemblem­ent national, Jordan Bardella, estime quant à lui que «par un coup de force des juges, avec le soutien du président de la République luimême, le Conseil constituti­onnel censure les mesures de fermeté les plus approuvées par les Français».

Eric Ciotti, le président du parti de la droite traditionn­elle (Les Républicai­ns), à l’origine de la plupart des mesures censurées, en profite pour mettre en avant un argument récurrent de sa formation mais aussi du Rassemblem­ent national: une réforme constituti­onnelle sur les sujets d’immigratio­n «apparaît plus que jamais indispensa­ble pour sauvegarde­r le destin de la France», affirme-t-il. Le député macroniste des Français de Suisse, Marc Ferracci, fait cependant remarquer sur X (ex-Twitter) que la plupart des articles censurés l’ont été «car dépourvus de lien avec le texte et non pour des motifs de fond», ce qui balayerait «les arguments de la droite et de l’extrême droite, qui demandent une modificati­on de la Constituti­on pour pouvoir adopter les modificati­ons de la politique migratoire qu’elles souhaitent».

A gauche, Manuel Bompard, coordinate­ur national de La France insoumise, estime que le Conseil constituti­onnel, par sa censure, «rappelle que les pires délires racistes de Macron et Le Pen sont contraires à nos principes républicai­ns». «La loi est totalement amputée. Elle n’a aucune légitimité. Elle doit être retirée», en conclut-il.

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