Lisa Mazzone, présidente hors parlement, sera-t-elle efficace?
La Genevoise devrait reprendre la tête des Vert·e·s. Mais son absence sous la Coupole n’est pas sans poser des questions sur la faisabilité de son mandat
L’affaire semble entendue. Unique candidate à la présidence des Vert·e·s, Lisa Mazzone devrait l’emporter – sauf grosse surprise – début avril lorsqu’elle sera proposée officiellement aux délégués du parti. Aucun écologiste ne devrait oser la défier. Défaite l’automne dernier lors des élections au Conseil des Etats dans son canton de Genève, la trentenaire deviendrait l’une des (très) rares présidentes de parti national à ne pas siéger au parlement à Berne. En effet, avant elle, et aussi loin que les mémoires fédérales s’en souviennent, les socialistes ont tenté l’expérience, soldée par un échec cuisant. Leur présidente d’alors, la Zurichoise Ursula Koch (1997-2000), s’était fait éjecter après de puissants désaccords internes. Plus loin dans le passé, dans un cas un peu différent, les radicaux avaient confié la présidence au Neuchâtelois Yann Richter (1978-1984), qui n’avait pas été réélu sous la Coupole en cours de mandat.
Rien ne dit que Les Vert·e·s connaîtront l’échec. Lisa Mazzone possède, contrairement à Ursula Koch, une solide connaissance du parlement fédéral, où elle a siégé quatre ans au Conseil national puis quatre ans au Conseil des Etats. Ce qui n’empêche pas sa situation de poser de réelles questions. A commencer par le salaire, car la somme «règlementaire» de 28 000 francs par année ne suffira pas à la Genevoise, privée des revenus d’élue fédérale. Mais aussi du point de vue organisationnel.
«Ceux qui ne sont pas à Berne pendant les séances de commission ont toujours beaucoup de difficultés à suivre la politique», constate Fulvio Pelli, ancien président du Parti libéral-radical. «Car la politique se compose de messages officiels, mais aussi des interactions personnelles.» Passer du temps sous la Coupole permet de sentir l’ambiance et les dynamiques. «Au quotidien, il lui manquera la chair et les anecdotes, ces choses qui montrent que votre discours n’est pas hors sol», craint un bon connaisseur du mandat de président. «Car au parlement, on recueille des exemples en permanence, on traite des dossiers toute la journée.»
Le Tessinois Fulvio Pelli est sceptique. «Cela me semble compliqué de présider un parti national depuis Genève. Il faudra au moins que Lisa Mazzone habite à Berne pendant les sessions parlementaires et sans doute davantage.» Il tranche: «Si elle me demandait conseil, je lui dirais de ne pas le faire.»
Les écologistes et la première intéressée se disent conscients du défi. Lisa Mazzone fera probablement très fréquemment le déplacement jusqu’à Berne. Elle pourrait même, qui sait, s’y installer, en partie ou complètement. Et le groupe parlementaire vert devra l’informer en permanence des travaux aux Chambres. Ancienne coprésidente des Vert·e·s, Adèle Thorens se réjouit de sa candidature. «Il est clair que sa situation hors parlement est particulière et que cela demandera une certaine organisation. Mais elle sera plus disponible pour le parti car le mandat de parlementaire prend énormément de temps et est très contraignant: il est évalué en moyenne à 85%. Le parti devrait donc bénéficier de sa situation.»
Un message contradictoire?
«Ceux qui ne sont pas à Berne pendant les séances de commission ont toujours beaucoup de difficultés à suivre la politique» FULVIO PELLI, ANCIEN PRÉSIDENT DU PLR
Surtout, fait valoir la Vaudoise, «la présidence ne concerne pas que le travail parlementaire. Une grande part du travail relève des processus de décision interne et des contacts avec les sections cantonales ou les partenaires. Les choses les plus lourdes que j’ai faites en tant que présidente concernaient les campagnes d’élection et de votation, qui ont lieu hors du parlement. Avec Regula Rytz [son ancienne partenaire à la coprésidence, ndlr], nous avions par exemple beaucoup travaillé à une identité graphique et visuelle unique pour tous les cantons, car chacun avait auparavant la sienne.»
Voilà pour l’aspect organisationnel. Un aspect auquel s’ajoute une autre dimension, celle du message. «Le signal donné est à l’inverse des ambitions des Vert·e·s à vouloir entrer au gouvernement et à s’investir davantage dans les institutions, poursuit un connaisseur. C’est dommage, car en Suisse, le parlement est peut-être le plus fort d’Europe. En être absent et en faire un argument me paraît étrange. Les Vert·e·s s’éloignent du centre du pouvoir.»
Un argument dont Adèle Thorens ne veut rien savoir. «Lisa Mazzone n’est pas une outsider, elle a huit ans d’expérience parlementaire, un énorme réseau, est très respectée, et a de bons rapports avec les principaux acteurs des autres partis. Elle continue son engagement sous une autre forme.»
Les prochains mois diront si le pari des écologistes est gagnant.
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