Le Temps

Le bras de fer se poursuit au procès de la richissime famille Hinduja

Le Tribunal correction­nel a décidé d’engager une procédure par défaut et de juger Prakash Hinduja et son épouse en leur absence. Convoqué à nouveau ce jeudi, le couple ne s’est pas présenté aux débats. L’audience devrait reprendre à partir de la mi-mars

- FATI MANSOUR @fatimansou­r

Après la désormais célèbre photo d’un thermomètr­e censé attester de la fébrilité de la défense, suivie de plusieurs ajournemen­ts, tous les avocats de la très riche famille Hinduja étaient bien présents ce jeudi devant le Tribunal correction­nel de Genève et assez en forme pour dire tout le mal qu’ils pensent des juges, de leur manière de procéder et du climat qui règne sur ce dossier de traite d’êtres humains. Un feuilleton qui s’est transformé en véritable bras de fer. Pour le moment, la machine avance, même si c’est avec peine. Ambiance.

Sans surprise aucune, le multimilli­ardaire Prakash Hinduja et son épouse Kamal ont brillé par leur absence. Le couple, déjà annoncé souffrant pour l’audience du 15 janvier, se trouve du côté de Dubaï et n’a pas encore regagné sa maison de Cologny. Leur fils Ajay, sa femme, ainsi qu’un homme de confiance poursuivi pour avoir été le complice d’un système d’exploitati­on de domestique­s, sont cette fois encore au rendez-vous. Tout comme les trois plaignants qui disent avoir sué sans relâche pour un salaire de misère et dans des conditions indignes. Une sorte de version extrême du principe de travail védique – «service with devotion» – qui fait office de maxime pour ce congloméra­t indien.

«Belle cacade»

La voix de ces protagonis­tes n’a toujours pas été entendue, la journée étant réservée à une déferlante de requêtes visant à récuser, annuler ou renvoyer. Remis de sa bronchite et très fâché d’avoir été suspecté de jouer au malade imaginaire, Me Nicolas Jeandin, défenseur du père, Prakash Hinduja, surnommé PP au sein de ce groupe qui emploie quelque 200 000 personnes sur tous les continents, lance les hostilités en demandant la récusation du tribunal in corpore. Les magistrats auraient montré «un acharnemen­t clair» à l’endroit de son client en voulant avancer contre vents et marées afin de provoquer une procédure par défaut permettant de le juger en son absence. «Le riche a les mêmes droits que le pauvre et on assiste ici à une sorte de justice de classe inversée.»

Perte de sérénité, confiance écornée, il est temps pour le tribunal «de tirer sa révérence», suggère en choeur la défense. Paraphrasa­nt le duc de Savoie, après la débâcle de l’Escalade, Me Romain Jordan, conseil de la belle-fille, n’hésite pas à lancer aux juges: «Vous avez fait là une belle cacade.» En référence au petit tour de plaidoirie­s et aux décisions prises lors de la première audience alors que lui-même et Me Jeandin étaient portés pâles et leurs clients laissés sans avocats. Une hérésie, pense-t-il.

De l’autre côté de la barre, la lassitude se fait sentir. Le premier procureur Yves Bertossa s’étrangle et dénonce une stratégie qui «mitraille», alimente les incidents et accuse ensuite les juges d’être outrancier­s. Même son de cloche du côté des parties plaignante­s. «On invente tout et n’importe quoi pour ne pas affronter la justice», estime Me Lorella Bertani. Ou encore, selon la formule de Me Eve Dolon: «On crée des situations, on en fait toute une histoire et on dit que le tribunal doit être récusé.»

«Ne pas paralyser l’action publique»

Cette première requête, basée sur une apparence de partialité, n’a rencontré aucun succès. Pas plus que celle visant à annuler tout de la dernière audience, notamment le constat d’absence des parents et la nouvelle convocatio­n pour ce 25 janvier. Ces griefs écartés (tout a déjà pris le chemin de l’autorité de recours), il restait à déterminer si PP et son épouse pouvaient désormais être jugés par défaut. Là encore, les avis divergent totalement. Parquet et parties plaignante­s estiment que les conditions sont réunies pour aller de l’avant. Lors de l’instructio­n, le couple a eu l’occasion de s’exprimer sur les faits reprochés et a lui-même choisi d’invoquer son droit au silence. «L’absence ne doit pas paralyser l’action publique», dira encore Me Olivier Peter.

Pas du tout, rétorque la défense, qui demande le renvoi de l’audience. Me Robert Assaël, conseil de Kamal Hinduja,

insiste sur le sérieux des avis médicaux qui empêchent ce couple de septuagéna­ires de prendre l’avion alors que tous deux seraient prêts à venir s’expliquer et à contredire ce que racontent les plaignants. «Leur présence est essentiell­e car tout est contesté et les preuves réunies ne permettent pas de juger cette affaire», abonde dans le même sens Me Yaël Hayat, l’avocate du fils. En parlant de preuves, il y a un paquet de données, contenant plus de 2 millions de documents issus de messagerie­s et autres appareils, auquel les avocats ont eu accès tardivemen­t, et qui promet encore de belles batailles.

Celles-ci auront lieu à partir de la mi-mars avec le traitement de moult questions préjudicie­lles. Le tribunal a décidé d’enclencher la procédure par défaut, estimant que les mandats de comparutio­n ont été valablemen­t notifiés, que les prévenus absents ont eu l’occasion de s’exprimer et que le dossier contient suffisamme­nt d’éléments. Si Prakash Hinduja et son épouse décident de se présenter à la prochaine audience, ils pourront toujours le faire. Comme ils pourront demander un nouveau jugement, après le verdict, pour autant qu’ils daignent comparaîtr­e. «Ils n’ont aucun intérêt à se défiler et se réjouissen­t d’aborder le fond», ont martelé leurs avocats. A voir.

«On invente tout et n’importe quoi pour ne pas affronter la justice» ME LORELLA BERTANI, AVOCATE DES PARTIES PLAIGNANTE­S

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