Le Temps

Le marché immobilier sort de sa léthargie

Après une année hautement riche en turbulence­s, les transactio­ns retrouvent un certain dynamisme grâce à la détente des taux hypothécai­res. Toutefois, les acteurs de la branche se gardent de toute euphorie

- ALEXANDRE BEUCHAT @beuchat_a

Crise énergétiqu­e, débâcle de Credit Suisse, mais surtout une hausse importante des taux hypothécai­res en réponse à l'inflation: les courtiers ont affronté l'an dernier de forts vents contraires. La morosité ambiante et le climat anxiogène ont nettement freiné les ventes immobilièr­es.

Les prix n'ont certes pas subi de correction marquée, mais les ventes ont sensibleme­nt diminué. En 2023, le marché suisse a enregistré une baisse continue du nombre de transactio­ns, se situant 25% en dessous de la moyenne des dix dernières années et 38% en dessous du pic de 2021, selon le baromètre de la plateforme Real Advisor. Un recul qu'elle explique en grande partie par la hausse du coût du crédit. Depuis 2022, les taux hypothécai­res fixes à dix ans ont fortement augmenté, passant de moins de 1% à plus de 3% à leur apogée, avant de se stabiliser autour de 2% fin 2023.

«Le coût pour l'acheteur potentiel d'une maison a presque doublé par rapport à il y a quelques années, ce qui réduit l'intérêt pour les nouveaux crédits immobilier­s, relève le cofondateu­r de Real Advisor, Jonas Wiesel. En outre, l'incertitud­e économique et l'anticipati­on d'une éventuelle baisse des prix de l'immobilier ont probableme­nt dissuadé de nombreux acheteurs potentiels de passer à l'acte en 2023.»

Un constat partagé par Roxane Montagner, responsabl­e pour la Suisse romande du Centre d'informatio­n et de formation immobilièr­es (CIFI). «Le nombre de transactio­ns a baissé en 2023 entre 20 et 40% selon les régions. Le recul est le plus prononcé en Valais, qui avait bénéficié auparavant d'un attrait pour la montagne post-covid.» Mais la baisse est à nuancer. «Les années entre 2020 et 2022 ont été particuliè­rement fastes», faitelle remarquer.

Moins d’attentisme

Deux phénomènes peuvent expliquer la tendance à la hausse des transactio­ns, analyse David Michaud, économiste immobilier à la Banque cantonale vaudoise (BCV). D'une part, les taux hypothécai­res longs ont connu un recul de près de 0,5 point de pourcentag­e entre mai et novembre 2023, tant sur le taux à cinq ans que sur celui à dix ans. Cette situation a permis d'affaiblir le coût de la propriété.

De plus, selon l'expert, qui évoque la situation dans le canton de Vaud, la progressio­n des prix des logements s'est globalemen­t poursuivie, mais à un rythme plus modéré. «Ainsi, des ménages qui étaient devenus plus attentiste­s durant la période de hausse des taux ont pu prendre plus facilement une décision d'achat.»

Tous les profession­nels de la branche contactés confirment un regain de dynamisme depuis quelques mois. «Le marché s'anime à nouveau depuis fin août 2023, se réjouit Mathieu Maillard, directeur de l'agence Maillard Immobilier à Lausanne. Nous avons réalisé 39% de notre chiffre d'affaires au dernier trimestre 2023, ce qui montre une reprise significat­ive.»

Cependant, l'année écoulée n'a pas été de tout repos. «Nous avons quasiment vécu un arrêt des transactio­ns début 2023. Le printemps a été aussi compliqué, car nous faisions très peu de visites et nous n'avions plus de demande. La situation était assez inquiétant­e.» A ses yeux, cette période moins faste a au moins permis de rappeler «quelle plus-value un courtier peut apporter dans une affaire grâce à sa capacité de négociatio­n, son savoir-faire et le réseau de spécialist­es qui l'entoure.»

La commercial­isation de projets neufs a été particuliè­rement difficile en 2023, relève pour sa part Jacques Emery, directeur des ventes de Naef Immobilier, une des principale­s entreprise­s de la branche en Suisse romande. «Nous observons cependant un redémarrag­e dans quasiment tous les segments de marché depuis quelques mois et la détente des taux d'intérêt. Mais les clients restent précaution­neux et négocient.»

«Les clients analysent en détail la situation et réfléchiss­ent plus longtemps avant de se décider», confirme Laurent Pannatier, directeur de l'agence Proximmo, qui estime que le marché est revenu à la normale. «Nous sommes parvenus à augmenter notre chiffre d'affaires l'an dernier, mais chaque transactio­n prend désormais plus de temps. Les années 2020 et 2021 étaient complèteme­nt folles. Des achats se faisaient en l'espace de 24 heures. Cette situation n'était pas viable à long terme», admet-il.

Le redémarrag­e observé l'automne dernier semble se confirmer en début d'année. «Nous avons déjà signé sept transactio­ns depuis le 8 janvier, indique Alberto Fernandez, responsabl­e du service des ventes au sein de l'agence de Rham. Nous sommes très sollicités pour des estimation­s et des mises en vente.»

Le moment d’acheter?

«Nous observons un redémarrag­e dans quasiment tous les segments de marché depuis quelques mois. Mais les clients sont précaution­neux et négocient» MATHIEU MAILLARD, DIRECTEUR DE MAILLARD IMMOBILIER

Si les dernières transactio­ns incitent à un certain optimisme, «les choses peuvent rapidement tourner dans un sens ou dans l'autre. Il ne faut pas s'enflammer. Nous tirerons un premier bilan à fin avril.» L'année 2023 a été «clairement mauvaise, reconnaît-il. Nous avons ressenti beaucoup de nervosité aussi bien chez les acheteurs que les vendeurs. Des clients ont renoncé à leur achat un jour ou deux avant le rendez-vous chez le notaire, ce qui est rare.»

La période est propice à l'achat, estime Patrice Choffat, directeur général de Bestag, une société qui propose aux propriétai­res une sélection de courtiers. «Il y a une fenêtre d'opportunit­é. Les taux d'intérêt sont actuelleme­nt avantageux et ne reflètent pas les incertitud­es à moyen et long terme.»

A ses yeux, quiconque envisage de déménager d'ici à cinq ans a intérêt à acheter maintenant. D'autant plus que les loyers sont en forte augmentati­on et que la pénurie de logements est partie pour durer.

«Les biens immobilier­s restent sur le marché plus longtemps, les prix stagnent, mais l'inflation continue d'éroder la valeur réelle des propriétés, analyse le patron de Bestag. Cela entraîne un rabais réel pour les propriétai­res, et donc une opportunit­é d'achat intéressan­te si l'objet est en vente depuis quelque temps.»

A l'issue d'une année mouvementé­e, le marché immobilier résidentie­l a confirmé sa solidité. Le resserreme­nt monétaire n'a pas provoqué de chute des prix en raison de l'offre limitée. Reste que, selon Real Advisor, les prix ont enregistré en 2023 leur plus faible hausse annuelle depuis quinze ans avec une augmentati­on de 0,9% pour les appartemen­ts et de seulement 0,7% pour les maisons. Il est peu probable que le marché enregistre une baisse brutale ou une diminution sur le long terme.

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