Le Temps

Les crèches, un enjeu de société et le combat des jeunes parents

- GAUDERON ALEC MARTINE FONDATRICE DE ALEC ALLAN ET ASSOCIÉS

Historique­ment la garde des enfants était une affaire totalement privée en raison du modèle social bourgeois où l’épouse avait le rôle de mère et de femme au foyer. Au XIXe siècle, avec le développem­ent du travail rémunéré des femmes, appartenan­t principale­ment aux classes ouvrières et populaires, on voit apparaître des structures d’accueil extra-familial, essentiell­ement dans les villes. Dès les années 1850, les premières crèches et garderies sont créées par des particulie­rs au titre d’oeuvres de bienfaisan­ce. Elles n’avaient aucun rôle pédagogiqu­e. Elles étaient conçues comme des aides temporaire­s pour les femmes obligées de travailler, le modèle bourgeois demeurant l’idéal, quelle que soit la classe sociale. Les classes privilégié­es préféraien­t, elles, le système des nourrices et des bonnes d’enfants. Pour ceux qui ne trouvaient pas de garderie, la famille et les grands-mères devaient s’y astreindre. Ce n’est réellement qu’un siècle plus tard que le besoin d’accueil extra-familial s’est réellement fait sentir en Suisse, bien après nos voisins européens.

A la fin des années 1980, la Suisse comptait 22 000 places d’accueil, ce qui correspond à 10% de tous les nourrisson­s, jeunes enfants et enfants, soit vraiment très peu. Ce n’est finalement que dans les années 1990 que la politique fédérale réagit. En parallèle, les cantons adoptent des lois visant à encourager la création de places d’accueil. En 2003, une loi fédérale prévoit un meilleur financemen­t des crèches, des familles de jour et des structures parascolai­res et un meilleur soutien aux cantons et aux communes pour diminuer les coûts facturés aux parents. Ce n’est toujours pas suffisant puisque 20% des enfants en âge préscolair­e et scolaire ne sont pas pleinement pris en charge.

Une initiative populaire a été déposée en 2023 à la Chanceller­ie fédérale. Elle vise à garantir à chaque enfant une place en crèche «de qualité abordable», espérant limiter la contributi­on des parents à 10% du revenu au maximum. Cette initiative prend la problémati­que des crèches à bras-le-corps et propose une meilleure rémunérati­on et une améliorati­on des conditions de travail du personnel de l’accueil extra-familial. Elle vise aussi une égalité des chances plus importante pour les enfants et pour les parents. Le Conseil fédéral s’oppose à cette initiative qui grèverait trop lourdement les finances de la Confédérat­ion, affirmant qu’il appartient aux cantons de développer l’accueil extra-familial.

A Genève où il manque des milliers de places de crèche, une initiative cantonale propose «Des crèches gratuites pour tous les enfants». Elle vise à inscrire la gratuité des places de crèche dans la loi sur l’accueil préscolair­e. Le texte veut également obliger les communes à créer des places pour répondre à la demande. Côté financemen­t, la contributi­on patronale passerait de 0,07% à 0,5% de la masse salariale.

Est-ce le début du dégel ou simplement une bataille de plus? En Suisse, la garde d’enfants demeure un parcours du combattant très anxiogène et coûteux. Enfants et travail ne font toujours pas bon ménage en Suisse. Les jeunes parents et particuliè­rement les jeunes femmes réfléchiss­ent à deux fois avant de fonder une famille. C’est un constat affligeant. Quoi de plus important pour un Etat que de contribuer à la croissance de sa population, de favoriser l’intégratio­n de tous ses habitants et de miser sur le développem­ent des jeunes génération­s? Gageons que les choses changent rapidement avec les initiative­s en cours. ■

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