Le Temps

Dans les pas de l’AfD en Thuringe, où le parti réalise ses meilleurs scores

Malgré les manifestat­ions quotidienn­es contre l’extrême droite, le parti Alternativ­e pour l’Allemagne semble prêt à remporter largement les élections de l’un des districts du douzième land

- DELPHINE NERBOLLIER, DE RETOUR DE BAD LOBENSTEIN @delphnerbo­llier

Bad Lobenstein est une charmante petite bourgade de Thuringe. Surplombée par un château, cette commune de 5000 habitants se trouve au coeur d’une région vallonnée et boisée, à égale distance de Berlin et Munich. Or cette petite ville, les communes environnan­tes et plus largement cette région de la Thuringe – qui a passé quarante ans sous le régime communiste – sont aussi connues comme l’un des bastions de l’extrême droite allemande. Le parti Alternativ­e pour l’Allemagne, l’AfD, y réalise ses meilleurs scores. Il y a deux semaines, dans ce district de Saale-Orla, l’élu régional Uwe Thrum a obtenu 47,5% des suffrages et raté de 2000 voix son élection, dès le premier tour, au poste de chef de district. Le second tour se joue ce dimanche 28 janvier contre le parti chrétien-démocrate. S’il l’emportait, Uwe Thrum serait le deuxième élu AfD à obtenir un tel poste au niveau communal et confirmera­it l’implantati­on locale de son jeune parti.

En ce jour de marché sur la place de Bad Lobenstein, les militants de l’AfD ont monté un stand, à côté du boucher, du maraîcher et autre vendeur de fleurs. L’affluence est minime mais Uwe Thrum se montre optimiste. «Nous allons voir si les citoyens ont le courage de sauter le pas avec nous ou s’ils vont se laisser tirer vers le bas par le cartel qui se forme contre nous, au niveau local, régional et national, commente cet élu régional. Je suis confiant car ici, dans cette région rurale, les gens ne se laissent pas facilement influencer ni impression­ner.»

«Ici, les gens ne se laissent pas facilement impression­ner»

UWE THRUM, CANDIDAT AFD POUR LE POSTE DE CHEF DE DISTRICT

«Chasse aux sorcières»

Parmi les quelques militants présents à ce stand, un sujet occupe les conversati­ons: les révélation­s du centre de recherche Correctif selon lesquelles des membres de l’AfD ont débattu, en novembre, de projets de «remigratio­n», c’està-dire de l’expulsion jusqu’à deux millions de personnes, dont des citoyens allemands d’origine étrangère. Depuis, des centaines de milliers de personnes manifesten­t dans tout le pays contre l’AfD. Uwe Thrum, lui, décrit ces accusation­s comme de «pseudos révélation­s», destinées à «faire oublier dans l’opinion publique les manifestat­ions des agriculteu­rs». «C’était une réunion privée. Il y a 35 ans, nous sommes descendus dans la rue, ici, en Allemagne de l’Est, pour obtenir la liberté d’expression et aujourd’hui on veut nous dire avec qui on a le droit de parler?», demande-t-il.

A ses côtés, Heinz, un retraité, qui votera AfD dimanche pour «mettre fin à une politique migratoire désastreus­e», y voit «une chasse aux sorcières» qui le «dégoûte». Dans ce district, moins de 3% de la population est d’origine étrangère. Un peu plus loin, une membre du parti, d’origine russe, se montre pessimiste. «Cette campagne contre nous me rappelle l’Union soviétique! Elle va nous coûter des voix importante­s dimanche», juge-t-elle.

Pour ces militants, les accusation­s d’extrémisme lancées contre leur parti sont «montées de toutes pièces». L’Office régional de protection de la Constituti­on, qui a officielle­ment classé l’AfD de Thuringe comme «extrémiste», est selon Uwe Thrum une «institutio­n dirigée par les sociaux-démocrates, à 3% dans les intentions de vote en Thuringe». Quant à Björn Höcke, patron de l’AfD dans cette région et chef du courant le plus radical, il ne suscite aucune critique. Au contraire. «Oui, je suis ami avec le diable! Un pour tous, tous pour un, c’est notre devise», lance Uwe Thrum, en riant. Sur cette place du marché, la possibilit­é actuelleme­nt débattue de lancer une procédure d’interdicti­on de l’AfD est, elle, perçue comme un affront. «Interdire des partis, Hitler l’a fait avec les communiste­s et les sociaux-démocrates», argumente le chef local de l’AfD, Hartmut Lucas.

«Les fronts se sont durcis»

A quelques pas de là, le parti concurrent, la CDU, fait aussi campagne pour le scrutin de dimanche qui s’annonce «très serré». «Les positions sont de plus en plus figées», regrette Sandra Smailes, membre de ce parti. «Ici, les gens ont leurs positions et ne veulent pas se faire patronner. C’est un héritage de la RDA. Les fronts se sont durcis et le sont encore plus avec les manifestat­ions», craintelle, en reconnaiss­ant ne pas manifester contre l’AfD. «L’important, c’est de voter!», lance-t-elle.

Michael Pape, en revanche, croit en l’opposition sur le terrain. A l’automne, ce père de trois enfants a lancé, avec une vingtaine d’autres personnes, une alliance pour s’opposer à l’AfD à l’approche de cette élection communale. Ils étaient ainsi une centaine à manifester lundi dernier à Bad Lobenstein. «Le plus difficile au quotidien est de ne plus pouvoir débattre sur la base de faits. Dès que vous regardez les médias publics, vous êtes considérés comme la brebis galeuse. Pendant longtemps nous n’avons pas réagi à l’AfD. Nous nous sentions seuls. Qu’un million de personnes manifesten­t dans le pays, cela nous a définitive­ment aidés. Mais maintenant se pose la question: comment continuer? Il faudrait être présent partout, tout le temps, ce n’est pas possible», constate ce trentenair­e.

A huit mois d’élections régionales importante­s en Thuringe où l’AfD est créditée de plus de 30% des voix, l’élection de ce dimanche devrait donc servir de test, pour voir si la mobilisati­on contre l’AfD porte ses fruits. ■

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