Le Temps

Moscou verrouille l’enquête sur le crash de l’Il-76

Les autorités russes ont confié l’examen du site de la catastroph­e au Comité d’enquête, une institutio­n largement perçue comme le bras judiciaire du Kremlin. Celui-ci a présenté des images accréditan­t la version officielle

- ALEXANDRE LÉVY, SOFIA @AlevyLevy

Trois jours après le crash, l’affaire de l’Il76 est arrivée dans la soirée du jeudi 25 janvier devant le Conseil de sécurité de l’ONU où, une fois de plus, Russes et Ukrainiens se sont renvoyé la responsabi­lité de ce drame. Pendant ce temps à Moscou, les autorités n’ont pas chômé pour bétonner leur version selon laquelle un missile tiré de l’autre côté de la frontière aurait causé la mort des 65 prisonnier­s ukrainiens que transporta­it l’avion, leurs trois accompagna­teurs et les six membres d’équipage. L’ancien général Andreï Kartapolov, président du comité pour la défense de la Douma d’Etat, la Chambre basse du parlement, est apparu sur toutes les chaînes de télévision pour réaffirmer que la partie russe avait clairement communiqué aux Ukrainiens la mission de ce vol peu avant son départ (ce que Kiev dément), en précisant que le GUR, le renseignem­ent militaire ukrainien, avait accusé réception de l’informatio­n. «Vous connaissez la suite», a-t-il conclu.

«Tatouages nazis»

Le Comité d’enquête russe, chargé des affaires les plus sensibles, a, pour sa part, annoncé l’ouverture d’une informatio­n judiciaire pour «terrorisme», et diffusé les premières images du site du crash. On y voit ses enquêteurs s’activer sur des débris éparpillés sur une large zone boisée. La caméra s’attarde sur des fragments d’un ou deux corps (floutés) sur lesquels les propagandi­stes russes y ont distingué des «tatouages nazis» et des fragments d’uniforme de prisonnier: ce qui vient opportuném­ent accréditer la thèse officielle. Dans la foulée, les enquêteurs ont annoncé qu’ils avaient également récupéré les deux boîtes noires de l’appareil, et que ces dernières allaient être analysées dans un labo de l’armée.

Fosse commune

Aucune de ces informatio­ns n’est vérifiable, la police ayant verrouillé le site à tout regard extérieur dès les premières heures du crash, à l’exception des membres du Comité d’enquête qui reste une institutio­n largement perçue comme le bras judiciaire du Kremlin. A partir de là, les autorités ont entre leurs mains un «mécanisme de manipulati­on très commode», affirme l’expert militaire indépendan­t russe Ian Matveïev, qui a longuement examiné ces images. «Vu l’étendue de la zone présumée du crash et la violence de l’impact suivi d’un incendie, les enquêteurs peuvent très bien prétendre ne pas pouvoir identifier la totalité des corps», dit-il. Néanmoins, selon lui, certains éléments semblent donner du crédit à la version russe: la nature des débris témoigne effectivem­ent d’une frappe de missile (la thèse retenue par le Comité d’enquête); et si l’avion transporta­it des munitions, comme l’affirment les Ukrainiens, l’explosion et impact au sol seraient autrement importants.

Quant aux corps retrouvés, à l’exception de ceux de l’équipage et des accompagna­teurs, les autorités auraient pris la décision de les «placer dans des sacs numérotés et de les enterrer dans une fosse commune», affirme la chaîne Telegram Mash, connue pour ses liens avec le FSB, le service russe de sécurité intérieure. «A moins que l’Ukraine ne remette rapidement à nos pathologis­tes des échantillo­ns ADN de chacun de ses 65 ressortiss­ants qui se trouvaient à bord. Ce n’est qu’après que leurs dépouilles mortelles pourraient être rapatriées, à condition que ce soit Kiev qui se charge du transfert», poursuit, sans trop y croire, Mash. Ce qui est une façon de suggérer que l’enquête sur l’Il-76 risque bel et bien d’être enterrée – au propre comme au figuré. ■

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