Un point de bascule à La Haye
Un génocide est-il en cours à Gaza? Les juges de La Haye, bien sûr, ne se sont pas (encore) prononcés sur la question, cela leur prendra plusieurs années. Un arrêt «immédiat» des opérations israéliennes, comme le réclamaient l’Afrique du Sud et, derrière elle, une bonne partie de la planète? Pas davantage: la Cour internationale de justice n’a pas le pouvoir de juger les guerres légales, illégales, légitimes ou illégitimes. Ce n’est pas son rôle, elle laisse cela à d’autres.
Bombardements et combats continueront donc à Gaza où, désormais, pratiquement toute la population est déplacée, où tout le monde a faim et soif et vit sous la terreur, où des centaines de milliers de maisons, les écoles, les mosquées, les hôpitaux ont été détruits, où une personne est tuée toutes les six minutes, avant tout des enfants et des femmes.
«Au moins certains actes [à Gaza] semblent susceptibles de tomber sous le coup de la convention sur le génocide», notait néanmoins la présidente de la Cour. Même si les juges s’en tiennent jusqu’ici aux marges de leur future décision, la simple énumération – dans l’enceinte du Palais de la Paix de La Haye – des possibles crimes commis par Israël constituera, sans doute, un point de bascule.
L’Etat d’Israël, lui-même issu du génocide commis contre les Juifs et estimant qu’il lutte contre un ennemi, le Hamas, qui a démontré le 7 octobre sa volonté génocidaire, n’a montré jusqu’ici que rejet et mépris face au constat de ses propres méfaits. Mais les dirigeants israéliens ont aujourd’hui les mains liées. En acceptant de participer aux auditions de La Haye, en assumant leur défense, ils ont aussi accepté les règles du jeu. Israël devra se résoudre désormais à endosser pleinement les conséquences de ses propres actes, ou de ses omissions. Pressions politiques, appels aux sanctions et au boycott vont pleuvoir.
Un point de bascule? C’est aussi celui qui voit l’Afrique du Sud, en l’espèce contestataire en chef autoproclamé de l’ordre établi, s’en prendre au «deux poids, deux mesures» dans lequel l’Occident est, de toute évidence, piégé. La justice a parlé à La Haye. Et, autour d’elle, le monde se redessine.
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